Comme Max, « elle est libre Garance ! », pour reprendre la jolie chanson écrite par Hervé Cristiani en 1981, année cruciale et marquante pour tous ceux qui attendaient la gauche au pouvoir depuis quarante ans. Cette euphorie, fantasme d’un parti remettant intégralement le système en cause, congédiant une droite conservatrice en place depuis trop longtemps, ne durera à peine qu’un an avant le début des désillusions. L’abolition de la peine de mort, les 39 heures et la cinquième semaine de congés n’ont pas suffi à maquiller la déception de millions de Français qui espéraient un vrai bouleversement de la part du gouvernement mené alors par Pierre Mauroy. C’est dans cette atmosphère instable que le film de Liza Diaz se déroule, soit un an après l’élection de François Mitterrand.

Libre Garance !

Copyright Nour Films

Pour ceux qui ont grandi à cette époque dans les milieux gauchistes et/ou marginaux, Libre Garance ! fait office de cure de jouvence mais ravive également de douloureux souvenirs. Vivre à douze ans en marge de la société dominante – mais pas vraiment du système – n’est pas aisé mais forge tout de même une forte personnalité.  Garance habite dans un hameau reculé des Cévennes avec ses parents, engagés pour mener une existence alternative. Ces néo-ruraux, issus de la génération 68, tentent de construire un mode de vie en accord avec leurs valeurs. Avec des limites toutefois. Car, même si le soir, les discussions agitées autour de la politique animent les repas bien arrosés, ils n’ont pas mis en pratique leurs idées utopiques à tendances révolutionnaires. Les parents, Marie et Simon, sont en réalité de doux agneaux, lui étant résigné et elle frustrée de ne pas agir. Au même moment, deux activistes italiens braquent une banque dans les environs. L’un d’eux, Tozzi, se réfugie dans les montagnes pas très loin de la maison de Garance. Cet événement aura des conséquences sur la vie de la jeune fille et celle de ses parents.

Libre Garance !

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Première constatation : la précision maniaque de la reconstitution, ou plutôt de la représentation de cette période est impressionnante, ceci sans avoir recours à des artifices publicitaires. Au film-doudou nimbé de références et de nostalgie, Liza Diaz préfère miser sur l’authenticité, une approche physique de son sujet et une science très fine du détail entre les virées en pleine garrigue où les enfants rêvent d’aventure, les sorties gênantes à la rivière avec les parents qui font du naturisme ou encore les cassettes audios des parents sur lesquelles les gamins réenregistrent… Tout sonne juste comme si la cinéaste l’avait vécu. Ce qui est peut-être le cas mais à une époque ultérieure au regard de son âge (en 1982, elle avait trois ans).

Dans ce contexte, très ancré dans une réalité tangible, Liza Diaz signe en premier lieu un beau film sur l’enfance, ou plutôt sur sa fin, ce moment clé où des pré-ados commencent à s’intéresser aux problèmes des adultes, et se questionnent sur ce qui les entoure.

Libre Garance !

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La rencontre entre Garance et Tozzi, très crédible, tisse intelligemment les enjeux politiques d’un film bien plus subversif que sa joliesse de surface ne le laisse présager. Déjà, l’emploi du terme « activiste » relativise la perception. A une époque – la nôtre en 2022 – où toute action politique illégale est taxée de terrorisme, où tous les synonymes et nuances ont été rayés du champ lexical, voir une cinéaste humaniser un braqueur de banque aux lubies révolutionnaires, conscient de l’impasse dans laquelle il se trouve, est totalement à rebours de la pensée binaire qui règne dans notre beau pays. Lisa Diaz ne filme pas un monstre, tout comme Marco Bellocchio dans son magnifique Buongiorno Notte, mais un idéaliste aveuglé par un combat perdu d’avance. En ayant ôté la vie de deux otages, il a signé le point de non-retour. Garance, curieuse, se prend néanmoins d’affection pour cet homme aux abois, sorte de loup jeté dans la bergerie, essaie de le comprendre sans préjugés avec l’innocence de l’âge. Le film pose en creux la question de l’engagement. Que faut-il faire ? Quelles solutions s’offraient à toute cette génération qui rêvait d’abolir le capitalisme ? Aujourd’hui, selon les sensibilités de chacun, les réactions risquent d’être clivées, entre le refus en bloc d’un criminel ou la tendresse envers un homme entêté qui arrive à la fin de son combat. A aucun moment la cinéaste ne le défend, mais elle prend le risque de le faire exister, de le confronter à cette jeune fille, presque fascinée par ce bandit.

Libre Garance !: Laetitia Dosch

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L’été 82, cette date-charnière presque symbolique, n’est que le début de la lente désillusion de la gauche qui ne va cesser de continuer tandis que le pays va progressivement basculer dans un capitalisme de plus en plus sauvage. Mais il faut continuer à vivre, à grandir, à rêver. D’où le plaisir de la cinéaste de filmer, souvent caméra à l’épaule, les escapades des enfants comme dans certains romans d’aventures. Entre légèreté et gravité, Liza Diaz ne tranche pas, nuance son regard sur tous les personnages, d’une belle humanité. Malgré quelques maladresses (les scènes d’intérieurs platement filmées), la mise en scène, enveloppante et douce, parvient à faire corps avec le récit : la lumière naturelle et le travail sensoriel sur le son captent la beauté écrasante et brûlante des paysages ruraux du sud de la France, omniprésents dans le film. Si les comédiens sont tous très bons, on saluera la performance de la jeune Azou Gardahaut Petiteau, qui parvient à faire exister Garance, jeune fille en quête de vérité et de liberté dans ce premier long métrage audacieux et fragile.

(Fra-2022) de Lisa Diaz avec Azou Gardahaut Petiteau,  Grégory Montel, Lola Chammah, Laetita Dosch, Simone Liberati

 

 

 

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