La collision entre le monde ouaté, évanescent de la grande romancière Laura Kasischke et l’univers « bigger than life », fétichiste du singulier Gregg Araki, faisait saliver, on ressortira gentiment KO de ce match nul. Car ici, plutôt que de garer sa mustang bigarrée dans le parking vaporeux de Kasischke, Araki reste au garage avec les teenagers sur leurs motos et la mécanique finit par se rouiller.
Au lieu d’assister au conflit intérieur et mystérieux d’une ado, Kat, dont Evie, la mère perturbante et perturbée, disparaît sans crier gare, on est témoins de la lutte extérieure qu’Araki livre contre le roman qu’il est censé adapter et transcender. Le choc n’aura pas lieu.
Une séquence leitmotiv de White Bird fixe à elle seule tout le sentiment de déséquilibre et d’hésitation que provoque le dernier opus d’Araki. Cette image d’Evie (Eva Green) dans la neige, la mère disparue autour duquel toute l’oeuvre repose, passe d’énigmatique et évocatrice à systématique et clichée, avant d’être une sorte d’indice XXL, comme si le cinéaste ne prenait pas au sérieux les cauchemars de son héroïne, s’attachant plus aux détails qui l’obsèdent depuis ses débuts : tout l’attirail adolescent. C’est en effet là que le bât blesse, Araki semble s’accrocher désespérément à faire un film tout public qui porte sa marque, parsemant par ci par là ses indices de provocation, mais le plus souvent, c’est l’image d’une subversion anesthésiée qu’il nous donne. Si l’on ne connaissait pas Kasischke, on pourrait prendre son assagissement pour un désir de s’effacer pour mieux coller à l’œuvre adaptée, mais ce serait oublier sa patte si singulière, son goût pour le mystère, quasiment absent ici.
La rencontre entre deux univers aussi fort, laissait présager une force multipliée, mais à l’arrivée, les deux mondes semblent se soustraire l’un à l’autre et s’aseptiser, et les deux folies plutôt que de se rencontrer, disparaissent dans un attirail incertain plus mort que vif, un joli musée dans lequel le cœur a laissé place aux stéréotypes. Certes, en bons aficionados du nippon le plus L.A du cinéma, on retrouve avec plaisir son obsession quasi onaniste du détail : là, le sticker Joy Division sur la lampe de Kat, ici, son tee-shirt siglé This Immortal Coil dont on entend la B.O, les looks de losers flamboyants de ses meilleurs copains outcasts (la grosse et le gay- absent du roman originel, Araki met déjà sa patte, là) et surtout, toute la bande son new wave de l’époque : Tears for Fears, Cocteau Twins, Echo & the Bunnymen,…. défilent, plus invoqués par les caprices du réalisateur qu’une nécessité diégétique. La joie qu’on a au début de reconnaître la B.O de notre propre adolescence et la gratitude envers ce gardien fétichiste des 80s qu’est Araki, se transforme graduellement en agacement car ses coquetteries maniaques prennent le pas sur l’essentiel, la substance-même du récit de Kasischke. Il ne suffit pas de téléporter Sheryl Lee, Laura Palmer, pour suggérer l’étrangeté Lynchienne, une des composantes de la touche Kasischke.
De l’important d’importer car à force de se sur-importer lui-même dans cette adaptation pas assumée, Araki finit par se trahir. Il a beau infuser tout le long sa marque de fabrique : reconstitution de chambres d’ados fin 80 au sticker près ; boîte de nuit goth où les gamins surjouent la new wave, flic pseudo sexy cheap …, ce film- par ailleurs pas inintéressant-, n’a ni l’insolence flamboyante de Nowhere, ni la jubilation de Kaboom, qui incarnait cette capacité à épurer son fantasme sans le renier, avec une pleine conscience de ne pas dépasser cette frontière. Araki sape régulièrement ses propres bonnes idées, ramenant le spectateur à son adhésion lorsqu’il glisse vers le doute, avant d’apporter des réponses peu convaincantes plutôt que de laisser dans l’interrogation. On sent le cinéaste piégé, incapable de choisir entre les tons, les genres. Pourquoi pas malmener l’énigme et la transformer en thriller troisième degré mais, à condition de vraiment mettre à mal le récit façon Kaboom ?
Là où on attendait un Araki plus « adulte » versant « Mysterious Skin », on a un demi Mysterious et un demi Nowhere ; on perd Kasichke et son ambiance en route.
Par sa performance nuancée, Eva Green se rebelle gentiment – la seule à distiller une ambiguité kasischkienne en diable, mais les tics d’Araki l’enferment dans une image d’Epinal camp: ses tenues et sa coiffure qui se voudraient une parodie sexy de housewive seventies. La trouble Evie du récit initial devient trop identifiable. Trop identifiable, tel est justement le principal écueil d’un film qui se voudrait mystérieux mais qui finit par remplir toutes les zones d’ombres et trahit par cela même tous les trucs de sa narration. Araki a toujours aimé le trompe l’œil et l’artifice, mais dans White Bird, cette spécificité se métamorphose en outil de décoration.
Malgré la délectation qu’on a au début du film à vivre ces (fausses) retrouvailles avec Araki et à espérer qu’il virera Mysterious Skin ou mieux, nous surprendra, on reste sur sa faim. Au résultat, une œuvre pas désagréable mais qui, plutôt que de mettre en valeur deux noms, hésitant entre elle et lui, enfante d’un Arasichke qui déçoit par son caractère impersonnel.
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