Illustrateur et auteur de bandes-dessinées, connu et reconnu, Lorenzo Mattotti avait déjà commencé à flirter avec le cinéma, il y a une quinzaine d’années. En 2004, ses peintures avaient été utilisées en tant que transitions entre les trois films, sur le projet Éros, mis en scène par Wong Kar-wai, Steven Soderbergh et Michelangelo Antonioni. Un an plus tard, il réalisait l’un des six segments sur l’anthologie d’animation Peur(s) du noir aux côtés de Blutch et Charles Burns notamment. À 65 ans, voilà qu’il franchit le pas en signant son première long-métrage, La Fameuse invasion des ours en Sicile, adaptée du roman pour enfants de Dino Buzatti, également illustré par ses soins en 1945. Épaulé dans son travail d’adaptation par l’excellent Thomas Bidegain (scénariste d’Un Prophète, De Rouille et d’os, Dheepan, Saint Laurent mais aussi réalisateur du très solide Les Cowboys) qui prête également sa voix à l’un des personnages, aux cotés d’un autre scénariste de renom, Jean-Claude Carrière et, au doublage, d’acteurs comme Leila Bekhti ou Arthur Dupont mais aussi Toni Servillo pour la version originale. Dix-ans après avoir conçu l’affiche officielle du Festival de Cannes, histoire de boucler la boucle, Lorenzo Mattotti présentait sa première réalisation sur la croisette, section Un certain regard. Le récit débute en Sicile, le jour où Tonio, le fils de Léonce, roi des ours, est enlevé par des chasseurs… Profitant de la rigueur d’un hiver qui menace son peuple de famine, le roi Léonce décide de partir à la recherche de Tonio et d’envahir la plaine où habitent les hommes. Avec l’aide de son armée et d’un magicien, il finit par retrouver Tonio et prend la tête du pays. Mais il comprendra vite que le peuple des ours n’est peut-être pas fait pour vivre au pays des hommes…http://fr.web.img2.acsta.net/r_1920_1080/pictures/19/05/14/15/18/2740310.jpg

La Fameuse invasion des ours en Sicile séduit dans un premier temps par son animation, totalement à contre-courant des tendances dominantes dans le secteur, ce qui n’étonne guère, quand on voit au générique figurer Prima Linea Productions, studio d’animation français, déjà derrière La Tortue Rouge de Michael Dudok de Wit mais aussi de Peur(s) du Noir, qui s’est fait le spécialiste d’un cinéma animé européen « alternatif ». Le film est visuellement à la fois fidèle au style propre à son réalisateur, celui marquant ses dessins couleurs des années 80 notamment, Feux et Nocturne par exemple, dans l’utilisation de couleurs vives, un goût pour les traits « arrondis », le tout transposé vers une forme un peu plus « jeune public » (aucune considération péjorative ne se cache derrière ce terme) tout en croisant la 2D avec des saisissantes perspectives de 3D (les décors montagneux sont assez splendides) et en venant s’inscrire dans un héritage précis de l’animation, celui de classique de la trempe du Roi et l’oiseau de Paul Grimault. Emballée par une mise en scène dynamique et pleine de trouvailles, l’utilisation de la magie permet par exemple au long-métrage de s’offrir de belles envolées poétiques, telles cette armée de sangliers s’envolant et ainsi rendue inoffensive. Derrière ses qualités de fabrication et un ensemble conçu pour être accessible au plus grand nombre, il y a une œuvre adulte, toujours pertinente dans sa réflexion, et ce, plus de 70 ans après sa parution. Adaptation interdite de son vivant par Dino Buzzatti, lui-même auteur réputé inadaptable, La Fameuse Invasion des ours en Sicile, bénéficie d’apports (ou trahisons) de ses scénaristes. À commencer par l’ajout de deux nouveaux personnages, deux conteurs (un troisième fera ensuite son apparition) évoquant la commedia dell’arte, et d’une suite à l’intrigue originelle. Récit dans le récit, spectacle dans le spectacle, ce jeu de poupées russes entrepris par Lorenzo Mattotti est plus ludique que cérébral, venant répondre à un appréciable appétit de cinéma. Écrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conte moral peut se targuer en 2019 de tendre vers d’autres sous-textes politiques, plus raccords avec l’actualité, la question du vivre-ensemble d’une part mais surtout la question migratoire, plus que jamais au cœur du débat en Italie à l’heure où Matteo Salvini vient d’officier plusieurs mois en tant de ministre de l’intérieur. La voie de la fable évitant les discours frontaux, sans pour autant simplifier ou survoler des problématiques complexes, préférant user de métaphores et symboles, venant enrichir l’animation d’une dimension merveilleuse. Drôle, intelligent, émouvant, réflexif et pédagogique, ce coup d’essai confronte deux univers singuliers pour un résultat aussi étonnant qu’excitant.

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[Article publié une première fois à l’occasion du texte Festival de Cannes 2019 à Lyon – Morceaux choisis]

 

 

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