Trois jours de la vie d’une influenceuse fitness polonaise, c’est ce que propose Magnus von Horn dans Sweat, intégré à la Sélection « label » Cannes 2020. Lui qui suivait dans Le Lendemain (2016) un adolescent en réinsertion après sa peine de prison, se questionne à nouveau sans jugement sur un pointé du doigt de la société, quelqu’un dont on croit tout savoir par ce que son étiquette représente. Sylwia a 600 000 followers, des admirateurs, des haters, des stalkers. Personnalité publique à la une des magazines et trônant sur les panneaux d’affichage, elle semble vivre pour les gens qu’elle entraîne en ligne ou in real life dans les centres commerciaux. Son intimité est de facto niée par les personnes qui l’abordent dans la rue lorsqu’elle promène son chien, ou cannibalisée par les problèmes des autres, à l’instar de cette amie d’enfance qui lui raconte, sans filtres, avoir fait une fausse couche. Elle est la confidente, l’amie de tous, sans pour autant y avoir donné son consentement. Pour autant, la complexité du personnage repose sur sa dépendance à l’amour que les autres lui portent. Sa relation à ces inconnus est empreinte d’une sincérité totale, d’une volonté de se laisser porter, qu’elle ne parvient pas à appliquer à sa propre vie.
Le film n’est pas un condensé narratif des coulisses la vie d’une Instagrammeuse. À vrai dire, il ne raconte pas grand-chose, se nourrissant des humeurs de Sylwia, de ce que son quotidien lui apporte, et c’est ce qui fait toute sa force. Magnus von Horn, également au scénario, ne tient pas à faire du remplissage à base de ressorts dramatiques à l’esbroufe. Il s’attache à l’itération d’une vie structurée par des rituels alimentaires, sportifs, professionnels, et de communication. La caméra à l’épaule suit Sylwia au plus près de son corps – l’outil de travail qu’elle façonne –, avec une versatilité qui rend le personnage à la fois visible et invisible. L’œil est placé dans une position de spectateur scrutant les moindres faits et gestes de la jeune femme, agrippé à ce visage transformé par l’effort, et désireux de recevoir ne serait-ce qu’un regard en guise de reconnaissance ou pour atteindre l’inaccessible. La réalisation à la manière d’une story Instagram – quoiqu’ici en format « cinéma » horizontal, plutôt que vertical, déconstruisant ainsi la banalité de façade de cette héroïne des temps modernes – accentue l’instantanéité et le réalisme du déroulé scénaristique. Cette approche témoigne également d’une difficulté pour Sylwia à pouvoir s’affirmer en tant que personne, dans un univers standardisé qui la dépasse et dans lequel elle a été enfermée à son insu.
Magnus von Horn explore sous différentes formes la thématique du miroir pour mettre le doigt sur la solitude qui assaille Sylwia : elle revisionne ses propres vidéos, analyse en live les actions normales du quotidien pour ses abonnés, voit son reflet chez l’esthéticienne en entendant parler une rivale, se confronte à sa mère (qui ne la prend pas au sérieux) sans conflit mais avec beaucoup de souffrance, ou compatit envers un harceleur qui se gare à répétition devant chez elle. Personne ne peut réellement déchiffrer son rapport compliqué à l’amour dont elle parle dans des posts ou à la télévision, personne n’a les clés pour la comprendre sans biais, pas même son acolyte d’entraînement Klaudiusz, croyant la conquérir en enchaînant les marques de virilité les plus primitives. Quand nous croyons voir surgir une businesswoman, une fille sans contenance ou une incroyable humaniste, les secondes suivantes réfutent notre impression. Portrait gigogne des déceptions recousues incarné jusqu’au bout des ongles par Magdalena Koleśnik, tranche de vie déphasée occupant la faille entre attentes et obligations, Sweat nous met face à une manifeste incompatibilité des mondes.
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