Alors que les images -le plus souvent sur commentées- du conflit russo-ukrainien, inondent au quotidien notre paysage audio-visuel, le médium cinématographique doit s’affranchir des diktats de l’immédiateté et du simple devoir de témoignage pour nous amener à ne pas rester enfermés dans un simple état d’indignation, et ce quel que soit sa légitimité. À l’instar de la qualification militaire de Lilai (Rita Burkovska), sa jeune héroïne, spécialiste en reconnaissance aérienne, le premier film de Maksym Nokonechnyl prend de la hauteur pour mieux nous plonger dans les affres du désastre humain. De la hauteur par rapport au genre documentaire dans lequel il s’inscrit tout logiquement. Certes, l’arsenal du « réel » est à l’ouvrage, caméra à l’épaule, instants captés à l’insu des protagonistes, plans écourtés ; le déroulement des faits semble échapper à l’omniscience du réalisateur, mais ce dispositif –probant dans un bon nombre de situations d’urgence- est loin de cannibaliser la mise en scène. Si les situations dramatiques sont bien réelles, issues d’un long travail d’investigation auprès des vétérans du Donbass, le réalisateur n’entend pas se livrer à un exhaustif état des lieux. Que ce soit au niveau comptable ou en termes d’historicité ; les références se font discrètes. Aujourd’hui, les sources d’information sont multiples, images des réseaux sociaux, vidéos de prétendus lanceurs d’alerte, reportages des chaines d’info en continu, cette folle mosaïque s’immisce dans le récit, ajoutant du doute aux doutes, enfonçant un peu plus les coupables et victimes dans leur désœuvrement.
Durant ses missions de surveillance aérienne, le regard de Lilia envisage la terre comme dans un banal First-Person Shooter – jeu de tir vidéo à la première personne- ; une simple cartographie dénuée de présences humaines. La séquence d’ouverture qui nous place dans la position de la jeune femme témoigne de la « nécessité » d’un tel point de vue pour l’efficacité de sa mission. Une fois libérée de ses obligations militaires, la résurgence de cette perception résonne d’une façon beaucoup plus inquiétante. Les images fragmentées et abimées du passé qui viennent perturber le sommeil de Lilia soulignent le processus d’aliénation qui est en œuvre. D’une façon plus prégnante, c’est dans le fantastique que Maksym Nokonechnyl va puiser ses traumas les plus troublants. Dans le cinéma organique d’un David Cronenberg, pour la relation ambigüe entre un corps lacéré et un esprit qui cherche à explorer les contours de la souffrance. Parmi les récits d’épouvante qui voit l’esprit du mal chercher à prendre une forme humaine. Doit-elle garder l’enfant du diable ? Celui du bourreau qui la violée en captivité. Lilia est–elle possédée ? Lors d’une scène étrange, c’est tout le corps de la jeune femme qui semble en lévitation. Quand un soldat revient d’aussi loin, qu’en est–il de la réalité ? Où sera-t-il le moins déphasé ? Au sein d’une société civile peu reconnaissante de son engagement, ou de nouveau sur le champ de bataille ? La performance de Rita Burkovska, impressionnante de puissance et de fragilité, déroutante par ses brusques changements d’humeur, autorise toutes les faiblesses et toutes les contradictions. La précision et la belle maitrise de cette première mise en scène suscitent aussi bien l’effroi que la réflexion. Un retour vers l’enfer qui a de quoi marquer les esprits.
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