Ancien animateur sur Dragon Ball Z, réalisateur des deux longs-métrages Digimon ou du sixième One Piece, Mamoru Hosoda s’est affranchi des licences au sein desquelles il a fait ses armes pour devenir progressivement l’un des noms importants de l’animation japonaise au cours des années 2000. Une émancipation qui coïncide peu ou prou, avec une collaboration avortée pour les Studios Ghibli, il fut en effet choisi pour mettre en scène Le Château ambulant avant de claquer la porte, las d’essuyer le refus de ses idées. La Traversée du temps puis Summers Wars ainsi que Les Enfants loups, Ame et Yuki, l’imposeront définitivement comme une valeur sûre. Il intégrait en 2018, la sélection de la Quinzaine des réalisateurs, moins réticente à programmer des films animés que la Compétition Officielle (en atteste la présence du superbe Ma vie de Courgette en 2016) pour Miraï, ma petite sœur. Trois ans plus tard, il retrouvait la croisette en juillet dernier, puisque son nouvel opus, Belle, faisait partie du panel des séances spéciales de la section Cannes Première, rapidement suivi d’une réputation extrêmement enthousiaste. Dans la vie réelle, Suzu est une adolescente complexée, coincée dans sa petite ville de montagne avec son père. Mais dans le monde virtuel de U, Suzu devient Belle, une icône musicale suivie par plus de 5 milliards de followers. Une double vie difficile pour la timide Suzu, qui va prendre une envolée inattendue lorsque Belle rencontre la Bête, une créature aussi fascinante qu’effrayante. S’engage alors un chassé-croisé virtuel entre Belle et la Bête, au terme duquel Suzu va découvrir qui elle est.
Sans minorer leurs qualités évidentes (beauté du graphisme, imaginaire pétri d’aspirations poétiques, ambitions thématiques), les deux dernières réalisations de Mamoru Hosoda nous avaient moins enthousiasmé que les trois précédentes, qui nous semblaient plus intensément incarnées. Ces considérations posées en préambules, mettons fin à tout suspens, Belle fut un ravissement de tous les instants dont nous sommes sortis soufflés et bouleversés. Il s’agit d’abord d’un émerveillement visuel, attestant du talent du cinéaste pour façonner un double univers (le réel et le virtuel) aussi immédiatement immersif que séduisant par sa richesse et sa densité, synthétisant plusieurs facettes déjà explorées par le passé dans son cinéma. Deux mondes à la fois opposés et reliés, dont le décalage apparent entre la quotidienneté de l’un et l’infinité de l’autre, accouche d’un premier vertige. En effet, Hosoda, peint la sobre vie lycéenne d’une adolescente évoluant en milieu rural avant de la propulser dans une autre dimension d’une étendue spectaculaire, chaleureuse et très colorée. U rappelle naturellement le OZ de Summer Wars, dont il constitue une version accrue et amplifiée, mais évoque également des œuvres telles que Paprika et Matrix dans sa capacité à rendre instantanément familier un territoire inédit. Espace de jeu filmique pour un réalisateur à la créativité débridée, ce dernier manie avec virtuosité toutes les possibilités qui s’offrent à lui (mouvements de caméra spectaculaires, travail poussé sur la profondeur de champ, jeu sur les échelles de valeurs au sein des plans…) sans résumer son geste à une vaine prouesse technique mais à dessein de sublimer son monde. Cette forme très pop, accentuée par les nombreuses chansons euphorisantes qui parcourent le récit, s’accompagne d’un second projet narratif, une relecture 2.0 de La Belle et la bête. Le metteur en scène entreprend ainsi une superposition de couche supplémentaire, visant à créer la féerie en mêlant à son imaginaire intime et foisonnant, l’adaptation d’une histoire avec laquelle beaucoup sont déjà familiers. En l’état, Belle pourrait simplement faire figure de grand huit animé ultra stimulant, d’une envergure rappelant aux fulgurances de l’inégal mais passionnant Happy Feet 2, sauf qu’il réussit en plus à brasser des thèmes ambitieux avec une aisance déconcertante.
La technologie, désignée comme un progrès permettant de vivre une existence fictive et potentiellement fantasmé, semble moins une échappatoire, qu’un révélateur de la personnalité de son héroïne. Elle apparaît davantage tel un espace d’ouverture vers un nouveau champ des possibles, qu’un moyen de repli sur soi. Cette vision bienveillante, tranche avec certains discours rétrogrades sur la question, sans perdre en lucidité lorsqu’il s’agit par exemple de s’interroger sur la notion de célébrité virtuelle et les conséquences potentielles de celle-ci. La dichotomie entre le réel et U, la double identité qui en résulte pour ses héros constituant à la fois une chance à saisir et un danger en puissance, Hosoda refuse une quelconque essentialisation de son propos, privilégie l’unicité de chacun, au phénomène de masse. Il se montre plus critique au moment d’évoquer une société du paraître, où par peur, les individus se cachent, ont peur de s’affirmer, quittent à trahir leur vraie nature. Un constat qui vaut pour Belle mais aussi la Bête, créature d’abord inquiétante qui se révèle bouleversante à mesure que l’héroïne perce son secret. En dépit du caractère grand public de son long-métrage, Hosoda n’hésite pas à travers cette dernière à aborder (avec une intelligence remarquable) des thèmes âpres et rarement traités dans ce type de propositions. Sans naïveté mais avec une conviction contagieuse, il pose la solidarité et l’entraide en remparts salvateurs aux douleurs que connaissent ses personnages, nous touchant alors directement en plein cœur. Merveille visuelle, enivrante, revigorante et émouvante, Belle impressionne au point de s’imposer comme le film de la maturité pour son auteur, capable de passer d’un tourbillon d’images et de sons, à de bouleversants silences en une fraction de seconde.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).
Edouard
Totalement d’accord !
Jérôme Camille
Une nouvelle oeuvre de l’ancien responsable animation de One Piece à ne surtout pas manquer !