Il y a la violence du rejet, d’un père policier pour son fils homosexuel, un passé brumeux, celui de deux ans d’emprisonnement pour une raison que l’on ignore, des cicatrices qui marquent un corps meurtri par la brutalité discriminatoire (cette très belle séquence où Wellington décrira les origines de chacune de ses blessures), un Sao Polo intraitable, jungle nocturne propice aux mauvaises rencontres, de la douleur, celui d’une humiliation voyeuriste, et un surnom qui surgira, « Baby » lorsque son nouvel amant/mac, Ronaldo, conjure Wellington d’arrêter de « faire son baby », et de se plaindre d’un mauvais traitement lors d’une relation tarifée. Car à 18 ans, abandonné par des parents disparus, en quête d’une identité encore vierge et absente, tout doit aller plus vite, grandir et se construire dans la perdition et l’absence, être, puis devenir. Devenir un homme, désiré et désireux, un homme qui saura éviter les pièges de la facilité (par la drogue qui rôde, et la prostitution en gain immédiat), et se construire dans l’adversité d’une société brésilienne supposément évoluée sur l’intégration de la communauté queer mais dramatiquement rongée par le venin évangéliste et les conséquences encore palpables de l’homophobie étatique post-Bolsonaro. De ce qu’aurait pu devenir Baby, un film sombre et dépressif, torpeur toxicomaniaque, et sexe ravageur, Marcela Caetano en prend le contre-pied parfait en libérant avec un acharnement salutaire la seule réponse encore valable à l’oppression, l’amour, et l’amour sous toutes ses formes, des plus éphémères (et cette courte relation bienveillante avec une rencontre d’un soir) aux éternelles (l’amour maternel). Nous qui pensions bêtement se confronter à un énième destin tragique dans les bas-fonds d’un Sao Polo en cimetière à âmes paumées, nous voilà face à une décharge amoureuse renversante, pleine de joie et d’espoir, une réplique implacable à l’obscurité, et filmé avec tant de pudeur et de finesse qu’une simple embrassade de Baby avec sa mère retrouvée en devient la plus puissante des armures face à l’adversité de la rue, une larme sur sa gueule d’ange, la réponse à toutes ses galères, un regard complice avec Ronaldo, le désarmement de toute tragédie, un couple lesbien en mères d’accueil, un territoire impénétrable à la violence du monde extérieur, là où le rire et le jeu, la danse et la musique protègent et isolent.
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L’amour salvateur donc. Et Caetano qui se refusera à filmer le père, que l’on apprendra alcoolique et violent, homophobe et abandonnant son fils à sa sortie de prison, ne l’oubliera pas pour autant. Son existence sera même synonyme de libération. Lorsque Baby se fait piéger et arrêter par une police corrompue, lui qui risque une peine de prison alourdie pour récidive, l’évocation du nom de son père policier le libérera de ses tortionnaires à insignes. Malgré lui, et en grande ironie du sort, ce père haineux affranchira son fils d’un nouveau destin carcéral, et lui offrira un nouvel élan de changement, celui d’un retour auprès de sa seconde famille, une communauté queer qui vogue dans les bus. Son visage est toujours aussi juvénile, et pourtant tout a changé. Le regard est fort et tenu, affranchi du doute, convaincu d’appartenir à ceux qui l’aiment, et lorsque par hasard Ronaldo recroise sa route, n’émane de cette ultime rencontre qu’amour et profond respect, comme un cadet retrouvant un benjamin, un père substitutif fier de son fils devenu un homme, construit et sauver par l’amour des autres, et affranchi du doute de ne pas être.
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Ce n’est pas la violence du rejet et de la discrimination que l’on retiendra dans Baby, mais bien sa réponse cinglante, l’amour sous toutes ses formes jaillissant des ruelles de Sao Polo en étendard indéfectible à l’abandon, le devenir d’un gamin en homme définit par ce qu’il est, et non ce qu’il est prétendument censé représenter. Caetano livre à travers la gueule angélique de Baby un film certes candide mais rempli d’espérance, un amour en suture, cette cicatrice en ultime plan refermant une plaie certes guérie mais indélébile, le visible (la peau, « l’extérieur ») sur l’invisible (l’amour, « l’intérieur »), la douleur libérée par l’acceptation finale, un Baby devenu grand.
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