C’est dans une petite ville au bord de la mer, en Argentine, que Mariano Biasin réalise son premier long métrage : une chronique adolescente, où la musique détient un rôle majeur, et où le développement du sentiment amoureux se fait tout en pudeur et en délicatesse. Manuel a 16 ans et joue de la basse dans un groupe de rock avec ses amis. Entre répétitions musicales, conversations nocturnes, et éclats de rire sur la plage, la vie se montre légère et allègre, ponctuée par une poésie de la nature, des sons et de la lumière. L’équilibre se retrouve toutefois menacé lorsque Manuel commence à éprouver des sentiments amoureux pour son meilleur ami d’enfance, Felipe. Avec Sublime, le réalisateur argentin compose une chronique sensible et harmonieuse autour d’émois de jeunesse, dans un décor naturel poétique, propice à la métaphore émotionnelle.
Sublime attire par son côté romance adolescente insufflée de légèreté et d’innocence. La plage et la forêt, régulièrement filmées, alimentent la symbolique de la quête identitaire, entre frustrations, incertitudes, liberté et découverte. Alors que le paysage forestier représente un refuge, un lieu abrité, secret et mystérieux, la plage, au contraire, traduit cette sensation de liberté, de plénitude et d’absolu, de ce parfait âge de l’équilibre entre indépendance et insouciance. Bien que les décors ne soient pas tous filmés en extérieur —car Manuel est parfois chez lui, parfois dans le van de son ami, abandonné dans la forêt et aménagé par les jeunes garçons, parfois en train de répéter une chanson chez l’un des membres du groupe—, Mariano Biasin instaure un équilibre particulièrement délicat entre les intérieurs et extérieurs, sans créer de distinction ou de cassure séparative. Ainsi, une impression de grande fluidité se dégage de Sublime, où les protagonistes évoluent naturellement entre le dedans et le dehors, renforçant alors l’intensité de leur liberté. Le van se figure à la fois comme un refuge et comme un symbole d’émancipation : entre-deux de l’extérieur et de l’intérieur, il représente un sas entre la jeunesse et l’âge adulte. Sublime parvient tout aussi bien à magnifier la fluidité de sa forme en créant également des emboitements d’images et des mémoires iconographiques, comme lorsque la main de Manuel caresse le sable, tandis que celle de sa copine lui caresse les cheveux. Il s’en dégage alors un fort effet d’harmonie, comme si la nature accueillait l’intrigue pour la fondre en son mouvement. Elle sert d’ailleurs aussi à signifier l’évolution des personnages, comme dans le contraste entre le plan initial de la plage, avec la mer au loin, presque statique, le ciel figé de froid ; et celui de la plage brillante de soleil, aux vagues rutilantes et à l’écume fulminante —et c’est d’ailleurs à ce moment-là que Manuel et Felipe s’embrassent pour la première fois. Mariano Biasin illustre alors tout en délicatesse la liberté adolescente, sa quête de sens et de plénitude, par l’image d’une nature enveloppante et chargée en qualités sensorielles : sonores avec le crissement des pas dans la forêt, le grondement des vagues, le souffle du vent dans les arbres, ou les stridulations des insectes invisibles ; et visuelles, avec cet arc-en-ciel se dessinant sur l’océan, la lumière rougeoyante du crépuscule, ou l’intensité noire de la nuit.
Sublime, ayant tout d’une chronique amoureuse, libre et sensible, esquisse le parcours de ce sentiment en épousant la forme d’une lente promenade, d’un chemin sinueux, ponctuée de la joie musicale et de la nature exaltante, où l’on suit de près Manuel, jusqu’à deviner ses appréhensions, ses non-dits et ses tentatives d’aveux —ainsi, lors d’une énième partie de « Tu préfères…? », Manuel demande à Felipe s’il préfère « manger un pot de miel entier ou [se] taper un gars de la classe ». Saisissant avec beaucoup de justesse cette fragilité adolescente masquée par l’espièglerie et le masque du rire, le cinéaste argentin dessine un portrait tout en nuances et en subtilité psychologique, permettant une peinture évolutive de l’attachement amoureux, et transportant le spectateur d’état d’âme en état d’âme. De la légèreté distillée tout au long de Sublime se dégage également un intérêt original qui réside dans sa représentation de l’homosexualité. En effet, elle se détache de toute ambition politique en s’inscrivant dans un environnement échappant à toute trace d’homophobie. L’aveu de ce que ressent Manuel pour son ami Felipe n’interroge aucunement l’éthique traditionaliste, et ne suscite aucune réaction hostile de la part de son entourage : car ce n’est pas la question, et, au contraire, « En quoi c’est mal, d’éprouver des choses ? » comme s’enquiert le père de Manuel. C’est justement, dans une perspective plus poétique, l’amour et son apparition qui sont explorés, sans condition d’orientation sexuelle. En cela, Sublime se démarque de ses pendants LGBTI en proposant une lecture de l’homosexualité en dehors de l’homophobie —permettant dans un certain sens d’ajouter une visée politique à valeur utopique. L’absence de discrimination homophobe intensifie aussi l’aspect de quête identitaire et de liberté, omniprésentes dans ce premier film de Mariano Biasin. Dans son exploration sentimentale de son protagoniste Manuel, Sublime fait preuve d’un utopisme salvateur, doux et optimiste.
Manuel et Felipe faisant partie d’un groupe de rock, le thème de la musique prend d’emblée une ampleur et une portée importantes dans l’intrigue de Sublime. Les répétitions ponctuent le récit de façon très régulière, créant d’ailleurs un jeu esthétique autour des emboitements d’images de chant, traversant les décors au rythme de la musique. On pense notamment à Manuel s’exerçant à jouer leur chanson seul, sous le vent de la plage, sous le calme de la forêt, sous le silence de sa chambre : « Ne t’en va pas sans savoir ce que tu représentes pour moi », fredonne-t-il. Ces plans différents se succédant sur cette même chanson renvoient ainsi au développement du sentiment, et portent un intérêt dans la structure narrative et poétique propre à Sublime. La musique y représente la charpente narrative tout comme un motif poétique du récit, créant par ce biais une mise en abyme de l’amour dans la répétition musicale. Car écrire une chanson, et la chanter, dans le film de Mariano Biasin, c’est écrire l’histoire d’amitié, puis d’amour qui lie Manuel et Felipe. Le motif musical, en plus de se figurer sensoriellement par le son, est également visuel : nombreux sont les détails qui le rappellent, entre ce câble jack pendant d’un bureau, la guitare en arrière-plan dans le film d’archive de Manuel enfant, les piles de CD décorant une pièce…Grâce à un travail avec le compositeur Emilio Cervini, le réalisateur a soigneusement élaboré la dimension musicale pour la fondre dans son récit, lui conférant alors un relief chantant et poétique. Il explique d’ailleurs avoir « toujours eu l’impression qu’à cet âge, on a du mal à exprimer ses sentiments, et les adolescents le font souvent à travers de la musique. ».
Une belle manière de conclure que, avec Sublime, l’expression de l’amour se figure au-delà des paroles ou des regards, et se trouve peut-être davantage encore dans la mélodie et le rythme des mots.
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