Marten Piersel – « Derrière le mur, la Californie »

Derrière le mur, la Californie sort enfin en salles après avoir été diffusé sur Arte et remporté de nombreux prix en festivals et c’est une bonne nouvelle. Nul besoin d’être un inconditionnel du skate pour dévaler vitesse grand V les pentes narratives et formelles, risquées du film, à l’image de ses héros, jeunes skateurs en RDA, que l’on suit depuis leur enfance dans les années 70 jusqu’à la chute du mur.

Premier film de Marten Persiel, Derrière le mur échappe aux étiquettes, ce qui est 100% cohérent vu le propos du film : une immersion dans une bande de skaters, éprise de liberté et vélocité, dans l’ex-monde sclérosé de l’Allemagne socialiste.
Inclassable même dans la simple rubrique documentaire ou fiction, le film emprunte des monceaux d’archives, issues de la télé en RDA ou des propres fond d’images des skateurs d’Allemagne de l’Est ; il passe également par scènes fictives filmées en Super 8, des séquences d’animation, laissant une empreinte indélébile dans la rétine du spectateur.

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Avant tout Derrière le mur, la Californie est un vraie œuvre de cinéma, davantage que certaines fictions plus pauvres formellement et narrativement; une reconstitution qui assume pleinement sa part mythologique. Dès le début, le film est découpé en chapitres : « 1. La Légende » ; « 2 : Leurs rêves. ». Où s’arrête la réalité documentaire où commence la fiction ? Peu importe même si le fait que le réalisateur ait reconstitué avec une habilité virtuose nombre de scènes historiques, années 70-80 a suscité certaines soubresauts dès les premiers pas du film à la Berlinale. Derrière le mur… raconte une histoire d’amitié tragique entre 3 jeunes « »Rollbrettfahrer » « (nom pour désigner les skaters en Allemagne de l’Est), dont leur leader, « Panik » disparut de la scène émergeante lors de la chute du mur et connut un destin plus que surprenant.

Une ode intelligente à la liberté crâneuse d’une jeunesse étouffée par le cadre communiste, comme en témoignent les truculents scènes d’archives – réelles- à Alexanderplatz où des « Ossies » (allemands de l’Est) austères, scrutent avec une désolation perplexe les figures incompréhensibles émises par les skaters et les break dancers.
On s’attache donc a ce personnage à l’aura mythique, l’égérie des gosses de l’Est : Denis alias Panik, voué à un destin de nageur de compétition et qui embarqua ses amis à une rencontre professionnelle de skateurs internationaux à Prague où skateurs de RDA et RAF se retrouvèrent unis par la même passion et une volonté de faire osciller leurs planches bien au-delà des sentiers battus.

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Le film de Persiel, lui-même skater depuis plus de 30 ans, communique parfaitement la passion du skate aux néophytes tant il en filme amoureusement les figures, notamment lors de la savoureuse scène des « Ollies ». Cet Ollie, skateur , dont la figure-clé aurait inspiré ce nom existe-t-il ou non ? Là est la force du film brouillant réalité et fantasme, nous embarquant dans un conte sur l’underground avec une vivacité salutaire et contagieuse.

On ne peut pas parler de Derrière… la Californie sans évoquer son rythme irrésistible. L’hybridation d’images est orchestrée par une B.O infaillible à l’énergie punk, électro, rock –pour aller vite (faite, entre autres de morceaux de Sonnenstudio, Anne Clark, Trentemoeller…). Les scènes uniquement musicales tirent parfois le film vers l’expérimental tant Persiel et ses acolytes malaxent la matière visuelle, mélangeant allègrement toutes les sources, noyant le documentaire dans la fiction et vice-versa.

Interrogé sur la réalité de son personnage égérie, Denis « Panik », Marten Persiel dit «  Il est vrai à 100%. Tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait, tout ce qu’il regarde, tout a existé. Mais, en fait, il représente trois personnes » : trois anciens allemands de l’Est que Persiel a interviewé, dont un ex-sportif, une tête brulée punk et un soldat kamikaze. Tous skateurs.

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Le film utilise également des interviews de skateurs d’ex RDA qui ont apporté non seulement leurs témoignages mais, aussi leurs archives, et également celles du cadreur du film, Felix Leiberg, lui aussi, Est-allemand. La singularité de Derrière le mur, la Californie est d’ouvrir une page inconnue de l’histoire allemande, une vision colorée en riposte à la grise Allemagne de l’Est et de la rendre universelle pour tous ceux qui ont voulu déroger à la morosité du quotidien quel qu’il soit.

Derrière … est avant tout un manifeste du DIY (Do It Yourself ), prônant le fait de s’accaparer les espaces publics, un coup de poing anarchiste dans un état sous contrôle. Les skateurs qui se retrouvent le long du film pour évoquer le regretté Panik, résument ainsi l’époque «  C’était notre endroit, on pouvait faire ce qu’on voulait ». L’endroit en question étant l’architecture stalinienne, hostile à la flânerie et aux chemins de traverse, détournée par des gamins qui ne veulent pas être comme ces passants qui font tous un truc utile : marcher pour aller au travail, s’acheter à manger, aller d’un point A à un point B. Derrière… frappe à la fois par son impact nostalgique fort (car on voit bien que ces gosses se retrouvèrent complètement largués lors de la chute du mur) et son énergie rugueuse, contagieuse , traduite par la transfiguration de la rue et du système qu’en firent les jeunes « Ossie » dans les années 80.

A une époque où confort et sécurité sont devenus des mots d’ordre de notre société, paradoxalement, en nous ramenant aux inconfortables années de plomb, Derrière le mur, la Californie, est une bouffée vivifiante, de Liberté, que l’on soit adepte de la planche ou non, un appel au mouvement, à faire évoluer l’état des choses.

Au cinéma depuis le 26 août 2015

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