Curieux objet que ce premier film majoritairement autoproduit de Martin Butler et Bentley Dean, deux cinéastes Australiens issus du reportage télévisé partis s’essayer à la fiction dans l’archipel du Vanuatu – au sud-ouest de l’océan Pacifique – sur l’île de Tanna. Conçu en étroite collaboration avec les habitants – crédités comme coauteurs au générique – de Yakel ( village situé dans les montagnes centrales de Tanna ), il retranscrit un mode de vie traditionnel quasiment disparu de la planète au travers d’un récit qui a bouleversé l’île à la fin des années 80. On nous conte l’histoire d’une jeune fille, Wawa, donnée en mariage pour épouser le chef d’une tribu rivale, les Imedin, le tout afin de préserver la paix entre les deux clans. Wawa choisit de s’enfuir avec Dain, l’homme qu’elle aime, refusant ce mariage arrangé et amplifiant ainsi les tensions, la menace d’une guerre entre les tribus.
Tanna est pensé avec un dispositif minimaliste pouvant s’apparenter à quelques nuances près aux codes du film Mumblecore ( mouvance du cinéma indépendant Américain née au XXème siècle ) dans un contexte exotique : peu de moyens, tournage en numérique, dialogues très largement improvisés, acteurs non professionnels. Il embrase deux désirs de cinéma palpables : l’un hérité du documentaire, se voulant le témoin minutieux d’une culture, de ses croyances, ses rites, dans le respect des individus filmés, l’autre plus propre à la fiction visant à tirer parti de son cadre géographique hors norme à des fins spectaculaires et émotionnelles. La frontière indéfinie entre les deux registres ( Où s’arrête l’un ? Où commence l’autre ? ) constitue l’une des forces évidentes du film autant que sa limite.
En mélangeant plans larges du village et caméra portée immersive au milieu des habitants, les cinéastes nous initient à un mode de vie en rupture avec les sociétés dites modernes : en communion avec la nature, sans écoles, ni monnaie ou vêtements occidentaux… Une large partie des acteurs secondaires ( chef, chamane,…) reprennent peu ou prou la fonction qu’ils occupent réellement dans la tribu soit un plus indéniable pour la compréhension de leurs motivations. Ils restituent en toute transparence la sensation d’être les derniers garants d’une culture dont ils ont hérité, qu’ils s’attachent à préserver coûte que coûte pendant que les îles et villages voisins ont renoncé à leur indépendance ou n’ont pas résisté aux différentes invasions coloniales. Manifestement soucieux de ne pas trahir la confiance qui leur est accordée, on perçoit une volonté de la part des réalisateurs de ne pas interférer dans ces problématiques, de s’abstenir de tout regard autre que bienveillant. Une démarche louable, à priori authentique et pourtant ce point de vue volontairement passif fait ressurgir avec lui le cliché d’un cinéma se voulant l’éloge naïf de peuples éloignés. Notamment lorsqu’ils esquissent les paradoxes qui régissent cet idéal mis à l’épreuve, sans jamais s’interroger sur les contradictions qui en découlent : une tribu soucieuse de préserver la paix à tout prix, quitte à donner l’une de ses filles ( vierge ) en mariage, créant un contraste entre une nature résolument pacifique et des valeurs archaïques sur la condition féminine.
Résumer le film à son aspect instructif serait toutefois malhonnête tant il marque très vite l’envie de s’en affranchir pour s’inscrire dans une démarche plus ambitieuse à la fois intimiste et contemplative. Le contexte vient transcender une intrigue amoureuse dans l’absolu loin d’être inédite ( on peut facilement penser à Roméo et Juliette de William Shakespeare ), sauf que la liberté de s’aimer revendiquée par Wawa et Dain prend une tournure nouvelle lorsqu’elle implique de braver des traditions sociétales millénaires. L’enjeu potentiellement primaire embrase quelque chose de plus universel qui trouve sa vérité dans l’interprétation de ses néo-comédiens. Loin d’être intimidés par un art qu’ils découvrent, ils nous donnent la sensation privilégiée d’assister à des instants volés : la détermination amoureuse qui transparaît du regard de Wawa ( Marie Wawa ) ou encore celui innocent et touchant de sa petite soeur, Selin ( Marceline Rofit ) découvrant la brutalité, la violence, d’un monde sur lequel elle n’a aucun recul. Tanna ne dissocie jamais ses protagonistes d’un décor que les cinéastes investissent comme des explorateurs déterminés à en utiliser chaque recoin ( forêt, cascade, plage, volcan, …) échafaudant un spectacle authentique où la géographie devient non seulement un élément de récit pris en compte dans sa progression mais aussi une entité vivante à part entière. Ce dessein atteint sa plénitude avec les séquences autour du volcan Yahul, où le mélange invisible liant l’intrigue en cours et un arrière-plan aussi extraordinaire qu’imprévisible ( éruptions, soufre, fumée…) justifie alors une forme délibérément hybride. Les nuances précédemment évoquées s’effacent temporairement au profit d’une beauté brute dans laquelle le factice n’a pas sa place, affirmant pleinement le potentiel singulier d’une oeuvre dont on a in fine plus envie de vanter les atouts que de souligner ses failles.
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