Cinquième film de Matthew Vaughn et deuxième collaboration avec le mythique auteur de romans graphiques, Mark Millar, Kingsman : Services secrets est un divertissement intelligent, savant mix de films d’espionnage, de blockbuster avec super héros, de « coming-of-age movie » et d’humour british, bien plus surprenant qu’il ne pourrait paraître.
Kingsman opère comme une relecture gentiment tordue de James Bond, source d’inspiration indirecte pour Mark Millar, dont la BD, The Secret Service, co-signée avec Dave Gibbons a été adaptée par Jane Goldman (également co-productrice) et Matthew Vaughn.
En effet, Millar a évoqué à Vaughn la lecture d’un article mentionnant le litige entre Terence Young, le réalisateur du premier James Bond et Ian Fleming, créateur du héros. Là où Fleming voyait les hyper britanniques James Mason ou David Niven dans le rôle-phare, Young imposa pour James Bond 007 contre Dr.No , « l’Écossais bourru qu’était Sean Connery en gentleman avant le tournage, il l’a donc emmené chez son tailleur et dans ses restaurants préférés afin de lui apprendre à manger, à parler et à s’habiller comme un espion gentleman. Nous voulions tous les deux explorer les origines d’un espion d’élite qui était au départ un candidat complètement improbable. » Ainsi Millar résume le point de départ de l’aventure narrative de Kingsman. Soit, une association hyper stylée d’espions : Kingsman, répondant aux noms des chevaliers de la table ronde.
« Merlin » meurt en mission. Le classieux Harry Hart (Colin Firth ad hoc), son loyal collègue, promet à la veuve éplorée de veiller sur elle et son fils. En cas de malheur, elle n’a qu’à composer un numéro et dire « Des Oxford, pas des Richelieux ! ».
Dix sept années s’écoulent lorsque Hart reçoit un appel (à l’aide) d’Eggsy, fils du défunt espion. Le jeune « lads « du rugueux Elephant & Castle, risque la prison pour avoir fricoté avec des dealers locaux. Hart lui propose de le former. Arrivera-t-il à convertir un voyou à l’accent cockney en gentleman espion ? Eggsy a-t-il le feu sacré ? Et surtout, l’organisation très sophistiquées des Kingsmen parviendra-t-elle à contrer le très allumé, Richmond Valentine (joué avec jubilation par Samuel L.Jackson) ? Officiellement philanthrope, luttant contre le réchauffement climatique, en vérité, magnat mégalomane et sociopathe, avec une volonté d’extinction de la planète.
L’intrigue donne le ton. Vaughn n’est jamais totalement là où on l’attend, s’amusant à déjouer les conventions et nos expectatives. Il se paye parfois le luxe d’une méta-lecture du film, de mises en abyme jouissives. Ainsi, Galaad alias Hart interroge le peu raffiné, Eggsy qu’il compte métamorphoser en néo 007:
« Tu as vu Un fauteuil pour deux, Nikita ou Pretty Woman ?
L’apparemment inculte Eggsy n’en n’a vu aucun ; cependant, il lui damne le pion :
« Mais, Pygmalion, oui ! ».
Vaughn s’amuse à railler les codes culturels : l’américain Valentine convie Harry hart à un dîner de gala où le gentleman découvre sous la cloche d’argent, un « Happy meal » !
Outre une esthétique efficace entre les comics et les jeux vidéo, le cinéaste a un vrai style visuel, affleurant notamment lors de la belle scène d’épreuve sous-marine à laquelle sont soumis les apprentis Kingsmen.
Matthew Vaughn confère à cette confrérie d’hyper espions (tout de même menée par l’immense Michael Caine) une insolence indolente, radicalement british, avec tout ce que ca comporte de sous-entendus, glissements de sens et de genres. Ainsi, une prestigieuse enseigne de Saville Row devient un repère secret d’espions nous donnant une leçon de guérilla british ou comment un complet veston, des souliers Richelieu, un parapluie peuvent s’avérer étonnamment pugnaces…
Que ce soit le duo de scénaristes de la bande dessinée originelle, les adaptateurs, et/ou le réalisateur, le plaisir qu’ils ont eu à élaborer des trouvailles truculentes a une saveur contagieuse. Et ce, dès le début du film, lorsque les jambes-cisailles de la redoutable Gazelle (complice de Richmond Valentine) coupent en deux sa victime.
Enfin et surtout, la bonne surprise vient du scénario, beaucoup plus audacieux que ce que ce type de divertissement pourrait laisser entendre. L’intrigue principale autour de ce maitre du monde potentiel est mâtinée d’une satire virulente de notre société de communication et donne lieu à des scènes délicieusement « unpolitically correct », ce qui est déjà un acte politique en soi, à notre époque tiède, tendant à tout lisser.
C’est en cela que Kingsman sort agréablement du lot de gros budgets mainstream. En déjouant les plans d’un « king of the world » US, ces Kingsmen 100% UK, confirment la volonté de l’atypique Albion à ne pas rentrer dans le moule et, mieux encore, celle de Vaughn, de ne rejoindre ni les blockbusters, ni les films d’auteur mais de se situer dans un Ailleurs, plaisant, car peu cartographié sur la carte du cinéma européen et américain.
Sortie le 18 février 2015
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