« Je ne veux pas faire de politique, ma mission est artistique ». Ainsi s’exprimait Rockin’Squat, MC du groupe Assassin, sur l’album Touche d’Espoir en 2000, en exergue d’un morceau traitant d’un sujet plutôt léger puisqu’il s’agissait de l’esclavage des enfants (Esclave 2000). A l’écoute de cette chanson et de l’album en général (le morceau Etat policier évoque exactement le sujet du film), une telle affirmation pouvait faire sourire tant les propos de ces rappeurs parisiens se voulaient dénonciateurs à chaque rime. Toutefois, en se définissant comme artistes avant tout, les auteurs se positionnaient sur le terrain de la musique uniquement. Si le rap peut délivrer un message, son essence est ailleurs, dans le flow ou le son par exemple. L’affirmer renforce, ici, la puissance du message puisqu’il n’est pas désigné comme étant l’objectif de l’œuvre.
A contrario, Avant que les flammes ne s’éteignent est un long-métrage avant tout en forme de revendication. Son enjeu est de traiter le sujet des crimes policiers du point de vue des victimes, en racontant un combat pour une reconnaissance en justice d’un cas exemplaire. Se voulant synthèse de multiples affaires similaires, le film rencontre peut-être là une limite. En campant un archétype féminin, central, puissant – tellement qu’il en est d’ailleurs surmoïque – au centre de l’intrigue, le réalisateur Mehdi Fikri fait une synthèse de ses mères et de ses sœurs qui se sont battues pour donner une suite judiciaire aux bavures commises par des policiers en service. Camélia Jordana interprète Malika, grande sœur qui va se lancer dans la bataille judiciaire suite à la mort de son petit frère après une interpellation. De quasiment chaque plan, tombant – peut-être au corps défendant du réalisateur et l’interprète – parfois dans le piège du glamour, le personnage se révèle via le drame auquel il est confronté. Le spectateur ne pourra par ailleurs pas éviter de l’associer à Assa Traoré, dont le métier était éducatrice spécialisée au moment de la mort de son frère Adama. La fonction d’éducateur est d’ailleurs transposée dans le couple du frère de Malika.
Mehdi Fikri, avant de proposer ce premier film, a eu plusieurs vies auparavant. Scénariste pour la télévision (sur la série Hippocrate par exemple), il a aussi été une plume pour le journal l’Humanité, ainsi que réalisateur d’un travail documentaire pour Médiapart. A ce titre, la précision remarquable des détails fournis tout au long du film sont sans nul doute le fruit d’une documentation importante. Avant que les flammes… semble être une parfaite synthèse du parcours de son auteur, avec une narration pensée de manière à être la plus efficace possible afin de transmettre une réalité. Le revers de la médaille se révèle par une démonstration qui peut sembler didactique et attendue. Les étapes s’enchaînent : émeutes urbaines suite au décès du jeune homme, dissensions familiales sur la récupération du corps ou non (avec la culpabilité portée par la famille vis-à-vis du jeune catégorisé dans la petite délinquance), policiers en visite au domicile du père pour appeler au calme… Le parcours parait balisé pour ce qui est des intentions de l’auteur, soit de montrer que tout concourt à masquer les fautes commises par les policiers ainsi que la volonté des autorités à renverser les torts du côté des victimes. L’accumulation de mensonges et des manœuvres orchestrées est par ailleurs tout à fait édifiante, dans un état de droit comme la France. Pour autant, sur le plan cinématographique, le risque est bien là de passer à côté d’une dramaturgie véritable.
Utilisé comme un ressort scénaristique, la culpabilité de Malika vis-à-vis de son grand-frère semble en effet sous-exploitée. Pourtant sa détermination semble puiser toute son intensité dans des failles psychologiques béantes. Le film ouvre ces portes-là mais refuse de s’y engouffrer, comme si rentrer dans l’intime risquait de singulariser le propos. En effet, après avoir coupé les ponts avec ce petit frère, l’enfant prodigue ayant dévié du droit chemin, l’injustice criante entourant sa mort ramène la jeune femme vers lui. Il y a comme une faute à rattraper, accentuée par des scarifications faites par une mère dont le fantôme rôde autour de cette famille, obligeant inconsciemment cette grande sœur à protéger les siens. En réalité, Malika prend une dimension plus grande qu’elle dans le combat qu’elle entreprend au nom de son frère. La question épineuse serait de fait la suivante : l’enjeu de Malika n’est-il pas de se sauver elle-même ?
Par ces scarifications, le noyau familial révèle celui-ci comme un clan dont Malika serait la matriarche et dont elle s’approprie les rites. Tout l’entourage du clan se trouve sacrifié à différents endroits (le mari, l’enfant, la belle-sœur…). Le versant dysfonctionnel de cette famille transparaît à travers le drame à l’insu de son auteur. Dans la difficulté à raconter une histoire qui serait particulière et voulant rester générique, Fikri évacue des enjeux importants. De plus, le tribut se paie sur l’autel d’une quête de justice contre des policiers dont le spectateur ne saura absolument rien, à l’instar d’un ennemi systématiquement hors-champ dans un film de guerre. Ainsi, le film s’expose à être désigné comme caricatural, quand bien même son propos ne l’est pas.
Au final, si grand est le mérite de ce film d’exister, il oublie le pouvoir de la fiction. Le danger devient donc de ne s’adresser qu’à un public informé et convaincu, en oubliant l’immense masse de nos concitoyens qui se réjouissent plus ou moins secrètement à chaque fois qu’un jeune délinquant est abattu par les forces de l’ordre.
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