Mia Hansen-Love – « Eden »

Voilà un film qui a su susciter une attente excitée- de par la singularité de l’œuvre de la jeune et pourtant prolixe Mia Hansen-Love et de par (ce qu’on croit être ) son sujet : l’âge d’or de la techno. Enfin, la peureuse production cinématographique française se « risquerait » à livrer un film générationnel, basé sur l’apparition d’une nouvelle musique qui, bien que méprisée et raillée, devint l’ultime trouvaille musicale de ce dernier quart de siècle ? Rassurez-vous : la prise de risque est nulle, le film concernant éventuellement certains hipster vingtenaires, des cinéphiles susceptibles d’être déçus, des quidam possiblement indifférents à la musique ou ignorants du courant qui pourront alors aller « s’encanailler » en toute impunité pendant cent-trente et une minutes.

Un seul vrai  danger : s’ennuyer ferme.

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Pourquoi Eden n’est pas un paradis? – ou alors, ô combien artificiel.

On espérait y retrouver la grâce fragile des trois premiers films de Mia Hansen-Love, son goût pour les physiques hors du temps et histoires idoines. Peut-être, est-ce là que le bât blesse ? Les marqueurs générationnels semblent être un gros problème si l’on en croit les ellipses invraisemblables inhérentes à une forme de non-récit où l’on passe sans crier gare en deux minutes des balbutiements électroniques : 1992 à 1995 puis, en moins d’une heure aux années 2000, ce qui va devenir le clair du film, soit les années de jeunesse de Mia Hansen-Love. Le tout, étrangement, non pas sur un tempo effréné (nonobstant la contagieuse B.O), mais sur une scansion Lexomil. Mais, qui peut me dire, le rapport entre les pionniers de la house et de la techno et les soirées Respect ? Combien de temps ce malentendu franco-français va-t-il être entretenu ? Il y a eu un précédent avec un documentaire diffusé sur Arte «  Bienvenue au Club » qui se targuait de retracer 25 ans de musiques électronique en 52’ brassant ouvertement du côté du mainstream, des Daft Punk, de Pedro Winter et tiens ! des soirées Respect. Respect de quoi ? De certains winners de la French Touch ? De corporates qui ont su tirer leur épingle du jeu ? Dans ce cas, pourquoi commencer aussi élégamment les cinq premières minutes du film, de retour dans la scène primitive des premières vraies raves : Fort de Champigny pour faire une telle tambouille ensuite ? Où le PS1 chic new yorkais se mêle au Silencio qui fricote avec le Queen (rebaptisé ici King !) qui croise la radio mythique FG. Deux seuls échos sensibles de l’époque surnagent : la distribution en club du fanzine Eden, réjouissant mini-journal écrit par des passionnées de house et observateurs de soirées (notamment, Christophe Monnier, Christophe Vix…) et la beauté de la scène d’ouverture. La patte d’un certain Manu Casana, organisateur passionné et salutaire qui créa les premières raves parisiennes en 1989 n’y est pas pour rien. Il a été conseilleur sur cette fête au Fort de Champigny, d’où (entre autres) le sentiment de véracité et de fraicheur qui s’en dégagent. Entre autres, car lors des premières scènes affleure le talent indiscutable de Mia Hansen-Love suivant avec la délicatesse qu’on lui connaît et qu’on apprécie, ses personnages dans le décor irréel du Fort, puis dans la forêt.

Las, dès qu’on se rapproche des personnages c’est patatras ! Paul, sorte de double de Sven Love, frère de la réalisatrice, DJ résident du Queen et co-scénariste du film, est effacé jusqu’à l’inconsistance- comme tous les hommes du film, excepté Macaigne qui hérite du problème inverse (nous y reviendrons) ; quant aux femmes, elles sont –au choix- hystériques ou frigides ou schizophrènes.

Double mystère : alors que Mia filmait formidablement des inconnus (notamment, ses actrices débutantes dans  Tout est pardonné, Un amour de jeunesse ), pourquoi un tel casting pseudo-branché avec des visages trop connus pour épouser harmonieusement l’anonymat des beautiful losers alias les premiers teufeurs ou organisateurs ou DJ des débuts 90 ?

Ainsi, défilent les désormais incontournables Vincent Macaigne, Vincent Lacoste, Pauline Etienne, Golshifteh Farahani, Laura Smet… accompagnés de l’«US indie » avec Brady Corbet et Greta Gerwig… Attention ! leurs talents d’acteurs ne sont aucunement remis en cause. C’est juste que l’addition de tous ces visages trop connus, tue l’identification et en devient embarrassante.

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Comme un mauvais « Retour vers le futur », on a du mal à se parachuter dans les 90s avec le très typé 3.0 Vincent Macaigne qui interprète peut-être le seul personnage attachant mais, trop en force par rapport à ces palots interlocuteurs. De même, le médiatisé Vincent Lacoste dans le rôle d’un des cultissismes Daft Punk, c’est un non-sens. Enfin, le running gag des Daft Punk se faisant refouler d’ici et là, s’essouffle vite. Certes, le personnage principal est incarné par un acteur peu connu : Felix de Givry (entraperçu dans Après mai d’Assayas, autre film à tonalité autobiographique, fortement ancré dans une époque) et ses proches également, mais ils sont discrets jusqu’à l’inexistence. Question de scénario, d’incarnation, de mise en scène ? Probablement, un peu des trois.

Enfin, parlons de l’essentiel : que Mia Hansen-Love ait préféré à la grande « Histoire » socio-culturelle, musicale et politique (car Oui, la techno est Politique) la petite histoire, pourquoi pas ? Jusque là, elle s’avérait orfèvre en la matière. Ici, elle échoue, nous perdant dans les histoires de coucheries pas intéressantes de Paul et de ses groupies hystéros, égrainées de temps en temps de soirées où le temps défile comme un compteur sous amphétamine, mélangeant allégrement pseudo-underground et vrai mainstream. A propos de drogues, le jeune et éternel Paul (en 21 ans parcouru- le film se situe entre 1992 et 2013- il ne bouge pas ni physiquement, ni moralement- tout juste une vague usure !) sniffe sans conviction de la coke. Malgré sa B.O réjouissante, le film garde désespérément un non-rythme qui suinte plus le valium, que la tonique cocaïne.

Si l’on osait, on se prendrait à voir Eden  comme une petite sœur française des films de Sofia Coppola, une forme de vision édulcorée, se voulant glamour de la French touch et des clubs « chics » parisiens. D’autant que le nom de François Pinault apparait au générique comme co-producteur.

On se prend à souhaiter à Mia qu’elle récupère les rênes de son univers (qu’on a connu autrement plus personnel ) et à avoir une pensée émue et amicale pour tous les vrais défricheurs qui se sentiront probablement trahis par ce film- s’il leur prenait la curiosité déplacée d’aller le voir.

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Ce triple échec  attriste bien plus qu’il n’énerve : un quatrième opus d’une réalisatrice douée qui déparait cruellement dans sa filmographie ; un film qui manque totalement son ambition : traduire l’effervescence et la descente autour d’un « eden » musical – pour qu’il y ait une descente, il faut qu’il y ait eu une montée : où est-elle dans le film ? Surtout, un propos limite éthiquement : un mélange gênant qui brasse sans état d’âme pionniers et faiseurs autour de la dernière révolution musicale. Vous pourrez toujours vous consoler avec la bande son qui comporte quelques pépites.

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A propos de Xanaé BOVE

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