Quand Joël apprend que Clémentine a fait appel à Lacuna inc., spécialiste de l’éradication des mauvais souvenirs pour l’éliminer définitivement de sa mémoire, désespéré, il décide de subir le même traitement. Mais à mesure que les blessures de l’âme s’échappent, se ravive la beauté intense de leur histoire. Tandis que le traitement efface les souvenirs qui défilent dans son subconscient, Joël endormi entreprend une lutte éperdue pour soustraire à la destruction la Clémentine qui subsiste …
La virtuosité des scénarios de C.Kaufman n’est plus à mettre en doute ; cependant ils aboutissaient à un superbe édifice formel, un jeu astucieux avec la narration qui ne dépassait pas l’exercice de style quelque peu superficiel. Un tel pitch aurait pu donner naissance à un film de science fiction high tech ou à un délire visuel à la Terry Gilliam. Il n’en est rien : Eternal Sunshine of the spotless mind est non seulement une merveille de construction mais tout simplement l’un des films les plus bouleversants sur l’amour et le temps. L’aventure de Joël et Clémentine – magnifiques Jim Carrey et Kate Winslet – aspire le spectateur dans une tourbillonnante réflexion sur la vie, les souvenirs qui fuient et la pérennité du couple. Cette machine à oublier est un prétexte pour mettre en image l’indescriptible : les méandres des sentiments. La plus grande partie du film se passe dans la tête du héros : l’homme se meut dans son espace mental et dialogue avec sa mémoire. Qu’est ce que l’amour, pourquoi cette alchimie entre deux êtres ? A partir d’un simple postulat de psychologie, M. Gondry réussit la gageure de métamorphoser l’étude comportementale en imaginaire hypnotique qui met constamment à contribution nos sensations et nos perceptions intimes. La mythification du souvenir met en relief les racines d’un couple, ses acquis, ses petits repères, la teneur de l’amour dans ses tréfonds les moins évidents : images qu’on croyait oubliées, petits détails du quotidien, odeurs et perceptions indélébiles. Le rien construit le tout. C’est seulement lorsque la liaison va mourir que l’individu relit et relie les événements de son expérience en cherchant à comprendre comment deux êtres qui s’aiment au point d’avoir oublié ce qu’était « la vie avant l’autre » peuvent arriver un jour à l’engrenage de leur destruction. Le mot de trop, le petit geste d’attention oublié, le détail insoupçonné peut laisser dans le cœur des fêlures irréparables et renfermer la gangrène du non-dit, de la frustration cachée et du rêve avorté.
Mais si Eternal Sunshine of the spotless mind se contentait d’appréhender le cheminement de l’échec amoureux il laisserait le spectateur dans une détresse totale. Or, le script de C. Kaufman se place dans la perspective d’un homme idéal que sert à merveille la citation d’A. Pope mise en exergue. Cette triade de l’éternité, du rayonnement et de l’esprit donne tout son sens au film ; malgré sa mélancolie Eternal Sunshine of the spotless mind est un film de croyance : foi en la prédestination de la rencontre, en son éternelle magie, refus absolu de la résignation et de la fuite ; si deux êtres se sont trouvés et se sont sublimés un jour, ils porteront en eux les moyens de se reconstruire. Malgré les accrocs à l’âme et les blessures faites à l’autre, la flamme à demi éteinte ne demande qu’à renaître, moins vive, plus hésitante, mais toujours présente. Dans cette mutilation du cerveau qui se vide (magnifique métaphore de l’être aimé qui échappe et s’efface sans qu’on ne puisse le retenir), Joël combat contre l’inéluctable. Au moment où le sol se déroule sous ses pieds le héros tente de se raccrocher : cacher Clémentine dans les recoins les plus cachés de son existence, dans son enfance et ses frustrations, c’est s’ouvrir plus profondément à l’autre, et lui rappeler la beauté de leur osmose au moment ou tout semble perdu. On a souvent l’impression qu’Eternal Sunshine of the spotless mind se construit sous nos yeux, en une forme d’interactivité avec le spectateur. L’apparence du jeu virtuel dévoile les virtualités du réel. M.Gondry parvient à matérialiser la notion même de métaphore en employant avec parcimonie les techniques infographiques pour mettre en scène le réseau perceptif comme une seconde réalité. M. Gondry semble réinventer tous les « trucs » cinématographiques comme s’ils n’avaient jamais existé, dans un cinéma-mirage, un cinéma-magie qui rend toutes les visions de Joël vivantes et vraies. Si en tant que cinéaste, il parvient à les montrer c’est qu’elles existent. Le concept abstrait de la mémoire qui s’évanouit trouve une traduction éblouissante par l’image et l’indicible devient tactile.
Si Eternal Sunshine of the spotless mindserre autant le cœur c’est dans sa capacité à nous donner envie d’aimer, sa force de persuasion à nous ramener à notre propre expérience, à raviver nos propres douleurs et ranimer en nous le souvenir de l’amour qu’on croyait éteint. M. Gondry impulse au film une spontanéité et une émotion constante qui nous dévoilent la lutte inconciliable entre notre volonté de fuir toute souffrance et notre refus d’oublier.
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