Depuis plusieurs films, Michel Hazanavicius ne revient jamais vraiment là où on l’attend et n’hésite pas à sortir de ses zones de confort quitte à le payer très cher tant au niveau de la réception (critique et public) que du nombre d’entrées. On se souvient notamment du grand écart opéré après le triomphe mondial de The Artist avec The Search en 2014, un mélodrame de guerre ambitieux, imparfait à bien des égards mais beaucoup plus intéressant qu’on a bien voulu le dire. Si son nouveau film, Le Redoutable -présenté en Compétition Officielle au Festival de Cannes en Mai dernier- marque son retour à la comédie, c’est cette fois-ci la nature même du projet qui surprend. Il s’agit d’une adaptation du roman autobiographique Un An après d’Anne Wiazemsky paru en 2015 -à noter que quelques éléments sont également tirés d’Une Année Studieuse, le précédent ouvrage autobiographique d’Anne Wiazemsky- portant sur l’histoire d’amour entre la comédienne et Jean-Luc Godard de 1967 à 1969. La cinéphilie au sens large a toujours occupé une place prépondérante dans l’œuvre de Michel Hazanavicius, il n’en demeure pas moins que l’idée d’une évocation de Jean-Luc Godard -c’est la première fois que le cinéaste est représenté au cinéma dans une fiction- par ses soins ne relève pas de l’évidence tant les deux réalisateurs semblent associés à des familles de cinéma bien différentes.
L’histoire du Redoutable commence en 1967 à Paris, alors que Jean-Luc Godard (Louis Garrel) tourne La Chinoise, avec la femme qu’il aime Anne Wiazemsky (Stacy Martin), de vingt ans sa cadette. Un couple heureux, amoureux, marié sauf que ce bonheur est bientôt remis en cause par la réception du film lors de sa sortie, qui n’est pas -loin s’en faut- celle escomptée par Jean-Luc Godard. Il entre alors dans une profonde crise, laquelle na va cesser de s’amplifier avec les événements de Mai 68. Le cinéaste le plus en vue de sa génération se transforme radicalement passant progressivement d’un statut proche de la rock star adulée à celui d’artiste maoïste hors système, incompris et incompréhensible…
Entre hommage et dérision, Le Redoutable se situe dans la meilleure veine de la filmographie du réalisateur, celle d’une comédie populaire exigeante n’oubliant pas d’être ludique et accessible. On pense à La Classe Américaine et surtout aux deux OSS 117 qu’il rappelle à plus d’un titre. Chronologiquement il est d’ailleurs amusant de constater que le film démarre peu ou prou au moment où s’arrêtait OSS 117 – Rio Ne Répond plus, à l’aube de Mai 68, comme s’il en était une sorte de suite officieuse. De plus, le Jean-Luc Godard incarné par un Louis Garrel en grande forme -confirmant un vrai potentiel comique tout juste entrevu jusqu’à présent dans Les Deux Amis ou Mon Roi– renvoie à l’agent secret interprété jadis par Jean Dujardin dont il serait le versant opposé, intellectuel. Comme avec Hubert Bonisseur de la Bath, Hazanavicius s’empare d’une icône pop, à la fois acteur et témoin impuissant des bouleversements de son époque pour en faire un moteur comique interrogeant par ricochet l’Histoire française récente. Enfin, il construit sa comédie sur des ressorts similaires -pastiches virtuoses, traits d’esprits hilarants, gags burlesques…- à un détail près qui le différencie substantiellement : le décalage ne naît plus de la bêtise autosatisfaite du héros mais à l’inverse de son intelligence surdéveloppée qui à force de perpétuelles remises en question et développements poussés à l’extrême finit par confiner à l’absurde.
Le ton délibérément irrévérencieux ne doit pas masquer le profond respect qui transpire d’un bout à l’autre du long-métrage, la démythification de Godard est aussi une façon de renforcer davantage le mythe qu’il représente. Hazanavicius puise dans le lexique Godardien soit le temps de brefs clins d’œil fétichistes – caméo vocal de Michel Subor, l’acteur principal du Petit Soldat– soit pour en faire des composantes à part entière de sa mise en scène – la typographie du générique et les cartons de transition directement hérités de La Chinoise – et de son récit – la relation amoureuse qui se délite inéluctablement entre Anne et Jean-Luc peut se lire comme une relecture de celle du Mépris -, rendant à sa manière les multiples expérimentations et trouvailles du géant Suisse universelles. Godard a beau prendre tout l’espace -ou du moins tendre à cela-, il ne faut pas oublier que c’est avant tout l’histoire et le point de vue d’Anne Wiazemsky sur leur relation. Dans le rôle de la muse, Stacy Martin -magnifiée à chaque instant, évoquant avec un naturel troublant les grandes icônes des années 60- livre une composition saisissante sur une partition délicate, essentiellement faite d’écoute et de regards. L’admiration qu’elle voue à son mari, l’amour qu’elle lui porte, Michel Hazanavicius l’observe dans un premier degré remarquable, délaissant l’ironie pour un terrain plus intime, avec lequel il est moins familier. La sincérité avec laquelle il filme ce point de vue peut s’appréhender comme un indice sur sa propre position sur le cinéaste, sa perception de son oeuvre. Ensuite, il y a un écho progressivement évident entre la situation des deux cinéastes : Il sont tous deux animés par une volonté manifeste d’évolution dans leurs cinémas respectifs – La Chinoise pour l’un, The Search pour l’autre- mais sans cesse rappelés aux souvenirs de leurs succès passés –À Bout de Souffle et OSS 117– dont ils veulent pourtant s’affranchir. L’exercice d’imitation virtuose se double alors d’une introspection personnelle inattendue, achevant de faire de ce film le plus jubilatoire, le plus complet et le plus touchant de son réalisateur.
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