Après une trop longue absence, Mike Leigh revient à la Maison Là où le portraitiste trouve ses plus belles inspirations.. Là où l’âme humaine révèle au grand jour tous ses secrets et ses mensonges. Percluse de douleurs aux origines difficilement identifiables, physiques et/ou psychosomatiques, Pansy passe la majorité de son temps à vociférer, y compris lorsqu’elle se retrouve sans entourage. À l’occasion de la fête des mères, Chantal, sa sœur, insiste pour l’inviter à déjeuner avec son mari et son fils. Depuis son premier film Bleak Moments (1971) qui réunissait également deux sœurs, Mike Leigh n’a pas son pareil pour sonder les souffrances et guetter les aspirations qui se terrent au plus profond de l’âme d’une partie de ses concitoyens, celle que le cinéma a tendance à oublier ou, pire, à la réduire le plus souvent à des images d’Épinal, les classes modestes et moyennes de la belle et grande Angleterre. Aujourd’hui octogénaire, le réalisateur fait toujours preuve du même tact pour se rapprocher de ses protagonistes. Dans la scène d’ouverture, reproduite de façon quasi identique durant la coda, la caméra reste à distance, contourne, s’éloigne, plus qu’elle ne se rapproche l’arrivée de l’un des membres du foyer. Comme un refus de franchir le seuil sans y être explicitement conviée. Une fois dans la maison, dans les différents lieux clos, pour être plus juste – rares et brèves sont les scènes en extérieur-, salon de coiffure, magasin, maison de Chantal…, la mise en scène de Mike Leigh est un invité qui brille par sa retenue. Le plus souvent à distance, la caméra évite de se balancer d’un interlocuteur à un autre lors des embardées verbales, pour ne pas ajouter une nervosité artificielle aux tensions, que le montage laisse également s’essouffler d’elles- mêmes sans avoir recours à des raccords Cuts sentencieux.
Dans les Deux sœurs -pourquoi ne pas avoir plus judicieusement choisi une simple traduction du titre original ?-, Pansy occupe une place centrale et prédominante. Elle qui s’évertue à rejeter les contacts, ne manque aucune occasion de se faire entendre. Longues logorrhées, cris, insultes, pour clôturer sa catharsis dans une douloureuse effusion lacrymale. Marianne Jean-Baptiste, déjà très émouvante dans Secrets et mensonges (1996) réussit à pousser son personnage à la lisière de l’insupportable, sans jamais commettre le pas de trop. Face à cet ouragan, les autres personnages sont loin d’être des faire-valoir, alors que leur repli, souvent renforcé par une économie de répliques semble les condamner à une position insipide. Comme souvent chez Mike Leigh, on pense au personnage de Timothy Spall dans All or Nothing (2002), « l’homme du foyer » se réfugie dans la passivité, par choix ou absence d’alternatives. Ici, ils sont deux à errer comme des âmes en peine. Le fils, sans emploi ni passion dont la seule échappatoire est de marcher sans but dans les rues. Le père, guère plus gracieux, prêt à ruiner sa santé dans des efforts physiques, visiblement plus de son âge, que lui impose son métier de plombier. Éloquence des silences et des regards qui évitent l’objectif de la caméra, tout l’art de Mike Leigh de trouver une place cruciale, comme dans les scènes de théâtre qu’il a si souvent arpentées, aux différents seconds rôles qui gravitent autour d’une imposante figure centrale.
Le contexte social nourrit l’étude de caractères. Constat clinique et édifiant d’un quotidien exsangue et glacial. Une société où le moindre retard ou autre obstacle aux désirs les plus triviaux tourne au vinaigre : place de parking non disponible, passage en caisse au supermarché ralentit… Ce monde, notre monde est déréglé. Et forcément la maladie est contagieuse. Mike Leigh, contrairement à Ken Loach, son homologue communément érigé en modèle du cinéma social anglais, n’utilise pas le contexte social comme une excuse prémâchée aux réactions apparemment excessives de ses compatriotes. Son portrait d’une « classe moyenne » évite les poncifs de l’imagerie misérabiliste. Intérieurs soignés et cosy, lumières douces, le mal être en société ne résume pas à de simples apparats, il se révèle autrement plus profond.
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