Le pavillon du titre ne renvoie pas à un lieu paradisiaque pour passer des vacances au soleil mais à un centre psychiatrique de Casablanca réservé aux femmes. Cet espace « sous cloche », s’il n’est pas à proprement parler un endroit de rêve, se révèle un havre de paix, institution protectrice éloignant les patientes de la violence du monde extérieur, et dans la plupart des cas d’une toxicité masculine et familiale. Les jardins apaisants de l’hôpital, les séances de psy et les ateliers d’art-thérapie font office de bulles d’air pour ces femmes traumatisées, réfugiées dans cette zone de confort dont elles ne souhaitent pas sortir.
Même si la situation politique est différente, Les Femmes du pavillon J développe des enjeux similaires à l’étonnant documentaire iranien Sunless Shadows de Merdhad Oskoueib sur des mineures incarcérées dans un centre de détention pour avoir commis des meurtres contre des membres de leur famille. Sauf que Mohamed Nadif évoque la situation de femmes qui ne sont coupables d’aucun méfait, portant au pire le poids terrible de la culpabilité ou la sensation de ne plus être en phase avec la société. Elles vivent aussi dans un régime démocratique plus ouvert qu’en Iran mais qui reste vertical, soumis à des règles sociétales très strictes liées aux traditions et à la religion. Cette dimension n’est pas appuyée en revanche, traitée en arrière-plan, laissant plutôt le récit se développer autour de son joli portrait de femmes : pour supporter la souffrance et l’oppression (en majorité liées aux visites de la famille), une infirmière et trois patientes s’offrent des escapades nocturnes, échappées belles qui leur redonnent goût à la vie. Mohamed Nadif, après un premier film inédit réalisé en 2012, Andalousie mon amour!, fait preuve d’un véritable talent de cinéaste lorsqu’il filme son quatuor de femmes, insistant sur les regards et les visages dont il parvient à capter tour à tour l’inquiétude et l’épanouissement de ces personnages émouvants.
Les Femmes du pavillon J est un film à « sujet », traité avec délicatesse, un drame féministe au message édifiant abordé sous l’angle d’un feel good movie. Mohamed Nadif tente de rendre supportable par la légèreté de ton des thématiques pesantes : inceste, violences conjugales, maltraitance, perte d’un enfant. Une légèreté qui ne fonctionne pas toujours, le film trébuchant souvent entre son désir de s’affranchir de la gravité de son propos par des fulgurances poétiques et des saillies de comédie et sa tentation plus didactique de dresser un portrait peu reluisant de la gent masculine.
Certes, les stéréotypes dans lesquels Mohamed Nadif enferme ses personnages masculins ne sont sans doute pas très éloignés de la réalité. Mais, le cinéma se doit aussi d’apporter un regard différent, un éclairage singulier plutôt que d’enfoncer des portes ouvertes. Cependant, le réalisateur n’oublie pas de s’attribuer le beau rôle puisqu’il incarne le psychiatre posé et compréhensif. Autour de lui, hormis peut-être le flic insistant mais sympathique, l’homme ne se démarque pas de son statut de « mâle dominant ». La situation sociale et politique du Maroc n’étant sans doute pas l’idéal, on peut convenir que la démonstration ne manque ni d’intérêt ni de lucidité.
La mise en scène, élégante mais académique, n’esquisse pas les facilités d’écriture et les ressorts dramatiques mécaniques. En tournant le dos au naturalisme, le réalisateur démontre sa capacité à aligner de beaux plans larges très composées et d’un jeu sophistiqué avec la caméra, parfois à la lisière d’une esthétique publicitaire, ce que la joliesse de la musique ne fait que renforcer.
Mais ne soyons pas trop sévères. Ce second long métrage s’avère un témoignage touchant d’un groupe de femmes avide de liberté, acceptant le paradoxe que leur prison dorée est d’une certaine manière le luxe de leur liberté. Les quatre actrices, Assra El Adrhami (également co-scénariste) magnifique dans le rôle de l’infirmière engagée et les trois patientes jouées par Jalila Telmsi, Imane Mechrafi et Rim Fethi sont bouleversantes ; elles apportent une bouffée d’air frais à une œuvre honnête qui a du mal à trouver un équilibre entre sa solennité et sa fantaisie.
(MAROC-2021) de Mohamed Nadif avec Assra El Adrhami, Jalila Telmsi, Imane Mechrafi et Rim Fethi
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