How to have sex, un titre qui, en prétendant s’écarter de toute ambiguïté, sonne trouble. Serait-ce une leçon d’éducation sexuelle bienséante ou plutôt une marche à suivre pathétique pour assouvir une pulsion désespérée ? Rien de tout cela, heureusement.
Avec ce premier long-métrage, Molly Manning Walker revient sur un sujet déjà amorcé dans Good Thanks, You ? : le traumatisme d’une adolescente ayant subi une agression sexuelle. Dans ce précédent film de 13 minutes, nous n’avons pas accès directement à l’événement, celui ci n’est représenté que dans le chaos de souvenirs flous de l’héroïne, qui tente de se faire entendre. Il n’y a pas de mot, pas d’explication, seulement la confusion et la douleur.
Ici, le film prend le temps d’inscrire ses personnages dans un cadre et de créer la rupture dramatique dans un récit qui au premier abord semblait sans nuages. Tara, Em et Skye fêtent la fin du lycée entre copines à Mália, en Crète. Nageant dans la masse touristique, tout se déroule selon leur plan sordide : la fête sans répit, l’alcool sans limite et la vague possibilité de s’envoyer en l’air dans cet état d’euphorie collective organisée, prémâchée. Une ambiance de folie qui semble leur convenir malgré l’épuisement que ce début de film communique à travers un enchaînement de scènes frénétique dopé à la musique électronique commerciale. Leurs maillot de bain fluorescents et leurs cheveux mouillés rappellent la petite troupe rebelle et joyeuse de Springbreakers.
Seulement voilà, quelque chose leur pèse, la virginité de Tara. Ce voyage se veut presque une mission commando pour venir à bout de ce statut de vierge, un poids apparemment autant pour ses amies que pour elle même. Très vite, elles font la rencontre de leurs voisins de chambre, un petit groupe principalement masculin, et l’un des garçons paraît être le candidat idéal à la délivrance. Mais malgré l’objectif grondant, Tara n’a pas l’air si déterminée, si pressée que ça. Elle n’a peut-être pas les idées très claires dans cet enchaînement de fêtes permanentes, où à peine réveillées les filles se préparent pour une nouvelle soirée. Elles vivent un rythme assassin et chaotique de plaisirs artificiels, de divertissements pour jeunes touristes en quête d’abrutissement général. Au cour d’un festival, une scène déconcertante se déroule sous les yeux de Tara. Des volontaires se prêtent à un petit jeu explicite : des filles sont en compétition pour faire bander deux garçons, l’une d’elle entame une fellation devant le public excité comme une meute primaire. La jeune pucelle médusée, écœurée, s’éclipse de cet environnement trop hostile à la sacralisation mentale et adolescente d’une première fois.
Alors qu’elle rejoint la plage, elle est suivie par un de ses voisins de chambre avec qui la soirée a commencé. Après l’avoir forcée à se baigner avec lui, il tente plusieurs rapprochements physiques qu’elle rejette clairement. Puis, au bout de nombreuses esquives, lasse, elle finit par consentir verbalement à un rapport sexuel. Un petit oui nullement convaincant, lâché dans un souffle apeuré, un oui qui veut dire non. Un oui lourd et à contrecœur qui va dans le sens de la masse auquel elle tentait d’échapper temporairement, submergée par ses absurdes injonctions aux plaisirs charnels et à l’amusement. Un faux oui qui suffit à son agresseur pour la posséder. Sans brutalité évidente ni éclat de voix, il la viole. La réalisatrice évoque en interview la réaction de nombreux journalistes hommes à Cannes qui voient dans l’alcoolémie des protagonistes et dans l’absence de « non » verbal (alors que la communication est largement non-verbale) un tort partagé. Mais c’est la force du film de nous montrer une scène réaliste et non le fantasme exagéré souvent ressassé en fiction qui ne représente pas la majorité des agressions.
Mais le meilleur atout de How to have sex est probablement son actrice principale, Mia McKenna-Bruce, dont le visage réussit de manière remarquable à jouer la dissimulation d’émotions bouillonnantes. De la sidération à la tristesse en passant par le déni et la colère, une variation de micro expressions se lisent sur ses traits avec un naturel émouvant. On est loin d’une interprétation conventionnelle de la victime ouvertement meurtrie. Malgré l’anéantissement, elle tente de continuer la fête selon les règles du voyage. Et ses amies n’ont pas l’air de remarquer, par ignorance ou toxicité, l’état dans lequel cette première fois l’a laissée. La première personne à comprendre n’est autre que le meilleur ami de son agresseur, qui se dérobera dans un silence complice.
How to have sex est un film réaliste et, au vu de certaines mentalités délétères et persistantes, plus que nécessaire, pourvu que l’on puisse lire entre les lignes.
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