Natalya Merkulova, Aleksey Chupov – « Le Capitaine Volkonogov s’est échappé »

Co-réalisé par Natasha Merkulova et Aleksey Chupov ( déjà réalisateurs de L’homme qui a surpris tout le monde) , film imposant, audacieux du fait de son mysticisme trouble, Le Capitaine Volkonogov s’est échappé montre avec un talent formel indéniable les coulisses d’une Union Soviétique staliniste pré-Seconde Guerre mondiale déjà inique et criminelle, faisant de l’ensemble de la population, du citoyen lambda aux agents du système eux-mêmes, un corps traumatisé, traqué, exsudant la peur de la mort ou d’une violence laissant des traces physiques et psychologiques indélébiles. Volkogonov (Youri Borissov, vu dans Compartiment n°6 de Juho Kuosmanen [2021]) est une machine exécutante (dans tous les sens du terme) au service du Parti, frappant, violentant, torturant, tuant les dissidents qu’on lui met entre les mains, ce qui lui permet de leur extorquer les aveux de faits délictueux anti-communistes qu’ils n’auraient pas commis. Voyant que le système se met à éliminer ses propres agents, il s’enfuit en emportant les dossiers d’une centaine de ses victimes. Poursuivi par ses anciens chefs et collègues, assailli par les visions de son meilleur ami décédé lui expliquant les douleurs insupportables que le Royaume des Ombres lui fait subir, Volkogonov se lance dans une quête de rédemption, cherchant le pardon de la part des familles des personnes qu’il a fait disparaître afin d’éviter la Damnation.

© Look Film – Homeless Bob – Kinovista.

L’œuvre de Merkulova et Chupov n’est pas sans quelques maladresses d’écriture, non sans longueurs à élaguer (quelques rencontres avec les parentèles des victimes du système communiste semblent ne rien ajouter au fonctionnement d’un récit dont on comprendra très vite la répétitivité), parfois lesté d’une imagerie sulpicienne que l’on peut légitimement penser trop insistante. Ces défauts font cependant aussi beaucoup pour l’étrange attrait que provoque Le Capitaine Volkonogov s’est échappé, filmant avec obstination l’implacable trajectoire d’un homme paradoxal, administrant la mort sans sourciller mais incapable d’envisager les souffrances que la sienne lui prodiguerait une fois passé dans l’outre-tombe. Le long métrage dérange considérablement par la caractérisation de son personnage-titre, qui s’avère moins en quête d’un affrontement avec sa propre culpabilité qu’animé par la peur des mêmes souffrances littéralement infernales qu’il a fait subir à des centaines de prisonniers politiques. Les deux auteurs du film ont la très bonne idée de ne jamais créer de connivence avec leur détestable protagoniste, sans pour autant en faire l’objet d’une condamnation définitive, faisant de sa froide détermination, de son absence robotique de sentiments et de sa corporéité sculptée dans le métal dont on fait les armes les éléments constitutifs d’une structure narrative volontairement chétive, redondante, peu aimable, cyclique et systématique comme une machine bien huilée.

Là se trouve l’autre tension dramatique de Le Capitaine Volkonogov s’est échappé : l’absence d’affects du personnage côtoie étonnamment ceux des membres des familles de ceux qu’ils a tués ; il est obligé de les comprendre pour entrer dans une forme d’empathie qui lui éviterait la Damnation mais semble incapable de s’y conformer par le verbe, les excuses qu’ils demandent étant composées d’éléments de langage et des euphémismes propres aux régimes totalitaires visant à masquer leurs horreurs, froidement récitées sans franchise ni passion. L’imagerie sulpicienne devient donc quelque peu ironique : Volkogonov recherche moins la sanctification du bourreau pénitent qu’un simple pardon d’autrui qui lui autorise une mort sereine et choisie. Dans un monde déshumanisé, la chute est à considérer avec un étrange sourire, la mort étant alors une sorte de soulagement au regard de la dureté infernale du réel. De ce point de vue, Merkulova et Chupov achèvent de transformer le destin de leur Capitaine Volkogonov en une tragédie dont la fin funeste est certainement paradoxalement plus optimiste que le monde dans lequel il se débat pendant deux heures.

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A propos de Michaël Delavaud

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