Seconde main
Le cinéma d’action badass, prépondérant dans le bon fonctionnement de l’économie hollywoodienne contemporaine (la saga John Wick, sur le point de sortir son nouvel opus ; Nobody, dernier exemple en date créé par la même équipe, est à son échelle un succès ; la saga Fast & Furious, valeur sûre financière pour les studios et adoubée par un certain cinéma d’auteur si l’on en croit la première projection du neuvième volet à Cannes cette année), franchit un pas sur le chemin de la post-modernité avec Bloody Milkshake, premier film américain de l’Israélien Navot Papushado, co-réalisateur des virtuoses bien que très douteux Rabies (2010) ou Big Bad Wolves (2013). L’intrigue n’innove rien mais n’a pas spécialement à le faire tant le film ne tient debout que par l’usage d’une multitude de références censément reconnaissables par tous les amateurs du genre, créant une connivence qui, si elle ne garantit pas la qualité globale du film, permet tout au moins d’assurer un véritable capital sympathie.
Enfant, la petite Sam est abandonnée par sa mère tueuse à gages suite à un carnage dans un diner interlope servant de lieu de rendez-vous pour les membres d’un monde souterrain s’arrangeant aisément avec les règles communes. Devenue adulte, Sam (Karen Gillan, actrice décidément remarquable) a suivi les traces professionnelles de sa mère disparue : elle travaille pour la Firme dont elle est la meilleure agente létale tout autant qu’une franc-tireuse dérangeante pour ses employeurs. A la suite d’une mission qui tourne mal, elle se retrouve acculée par un chef mafieux dont elle a tué le fils, par la Firme qui veut se débarrasser d’elle suite à la perte d’une forte somme d’argent et par la culpabilité face à la petite Emily (Chloe Coleman) dont elle a tué le père, la renvoyant à sa propre condition d’orpheline.
A partir de ce canevas quelque peu éculé, Navot Papushado choisit donc l’option d’un second degré presque adolescent détournant facétieusement les plus reconnus des cinéastes « recycleurs » (Tarantino en premier lieu, Guy Ritchie, et leurs multiples épigones), ainsi qu’une esthétique très marquée par la fin des années 80. Il y a quelque chose de profondément nostalgique dans la vision du genre qu’a le réalisateur israélien, faisant allégeance à un certain type de cinéma d’action maniériste tout en le passant à la moulinette d’un geste parodique pas toujours à son avantage, la réécriture étant déjà son fond de commerce. Pour nous résumer, disons que Bloody Milkshake détourne au carré, et s’avère donc un film éminemment de son époque, adorateur de ses précédents et souhaitant s’accaparer leurs qualités afin de les transcender par le second dégré voire la seconde main inhérents à la notion de reprise, permettant à des réalisateurs bricoleurs et formalistes de gonfler leur véhicule d’occasion.
La conséquence de cette approche pour le cas de Bloody Milkshake est l’inconséquence générale d’un film qui ne semble pas raconter grand-chose. Il fait mine de structurer un récit autour de la notion de famille passée dans le bain de la criminalité, à travers les histoires d’un mafieux irlandais voulant venger son fils et d’une gamine perdant son père, tous deux tués par Sam, elle-même abandonnée par sa mère et recueillie par trois « tantes » bibliothécaires dont le temple de culture qu’elles gardent sert de base armée, comme un double de l’hôtel de la saga John Wick (les tantes sont interprétées par Angela Bassett, Michelle Yeoh et Carla Gugino, égéries d’une certaine époque de cinéma et confirmation de la forte teneur en nostalgie du film). Ce réseau d’intrigues émouvantes est cependant un leurre, l’ambition première de Bloody Milkshake semblant bel et bien l’accumulation de références et hommages avec le sourire de l’amateur de cinéma pop. Papushado assume le caractère évanescent voire futile de son film, la légèreté de son récit flottant au gré du vent, bondissant de référence en référence, d’une scène d’action à une autre (pour certaines graphiquement virtuoses : nous pensons à un affrontement mélangeant les motifs des cinéma de Leone et de Winding Refn dans un bowling, ou encore à une très belle scène de fusillade au ralenti dans le fameux diner cité plus haut). Le film est bigarré, plein de néons multicolores et d’effets de style gratuits, dans un même élan candide et ultra-violent, à la fois victime de son trop-plein et le considérant avec un plaisir gourmand.
Car en effet, si Bloody Milkshake, en se reposant sur ses outrances, en mettant au ban toute volonté d’originalité voire de personnalité (quoique la notion de reprise, d’une façon ou d’une autre, fait montre de l’appétence propre à un réalisateur et/ou à un scénariste pour une certaine forme de cinéma), plombe son récit en ne cherchant pas à en faire autre chose qu’un grand sac plein de lieux communs, il s’avère que le film emporte tout de même l’adhésion à l’arraché par sa vivacité, par sa vitalité, par son humour ludique constant suscitant le même amusement infantile qu’une soirée à la fête foraine. Navot Papushado fait de son film une sorte de coffre à jouets fondamentalement régressif et sympathique, qui n’est cependant pas dénué d’une certaine forme de cynisme opportuniste. Ne soyons pas dupes : la forme comics du film et son geste post(-post-post-…)moderne, très à la mode, sont à même de créer une nouvelle franchise (comme l’atteste par ailleurs un final sans équivoque) dont le caractère rafraîchissant provient de sa dépendance aux vieilles figures. De fait, Bloody Milkshake est au film d’action contemporain ce que le western européen était au western classique : le détournement d’un paradigme qui serait dans le même temps renouvellement salutaire du genre et enterrement de première classe.
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