La carrière de Neil Jordan a balancé entre films de studios et films de festivals, succès critiques et prix prestigieux à la clé. Le grand public s’en souvient comme le cinéaste d’Entretien avec un vampire (il y a vingt-cinq ans, tout de même), ou plus récemment de la série The Borgias, depuis laquelle il se fait plus rare sur les écrans. Les cinéphiles gardent en mémoire la superbe Compagnie des loups (son premier long), les beaux Crying Game et Michael Collins, ainsi que le glam Breakfast on Pluto. Bien qu’il réunisse un casting permettant une diffusion internationale, Greta est de ces films insipides qui avancent sans déclencher la moindre passion. Tout y est médiocre, routinier et ennuyeux, de la réalisation à l’écriture, en passant par la dramaturgie. Après un direct-to-DVD en 2013 (le singulier Byzantium), le grand retour en salles du réalisateur n’est pas vraiment celui qu’on espérait.
Frances (Chloë Grace Moretz) vit à Manhattan avec son amie Erica. Un jour, elle trouve sur un siège de métro, un sac, qu’elle va rendre à sa propriétaire Greta (Isabelle Huppert). Cette veuve souffre de solitude suite au départ de sa fille à Paris, mais le courant passe tout de suite avec Frances, désorientée par la mort récente de sa propre mère. Frances découvre vite le pot aux roses : Greta est en fait une affabulatrice répétant inlassablement le mode opératoire du sac abandonné pour attirer des âmes charitables à son domicile et assouvir son emprise sur elles. Malgré son désir de couper les ponts, Frances se retrouve harcelée par Greta et incapable de faire entendre sa voix à son entourage et à la police.
Inutile de préciser qu’on a déjà vu ça cent fois. Avec ses sentiers balisés et ses gros souliers, le film trahit son statut de pur produit uniformisé de studio. Ni la relation toxique entre les deux femmes, ni ce qu’elles s’apportent mutuellement, ne sont des thèmes traités par un scénario vain et prévisible. Qu’Isabelle Huppert soit caricaturale dans son rôle de méchante n’est pas le plus grave, c’est réellement cette platitude générale, ce flottement continu déconnecté de toute cohérence et de toute volonté de faire du cinéma, qui pose problème. Neil Jordan semble se savoir condamné par un final cut abusif et entraîne le spectateur dans l’indifférence. Si on anticipe les scènes d’intrusion et de coups de téléphone, si on bâille régulièrement devant un rythme peu soutenu, on ne crache pas complètement sur la marchandise. Comme un objet téléfilmique à moitié conscient de sa vacuité, comme un choix déçu de vidéoclub, il n’inspire pas de mépris.
À vrai dire, Chloë Grace Moretz s’en sort plutôt bien en oie blanche sur le seuil de la résistance. Sa rencontre avec Greta et l’affirmation de son opposition construisent une suite logique, qui, à défaut d’une mise en images inspirée, fait office d’exorcisme des peurs concomitantes à la perte d’un être cher. Les clichés d’une rigide Greta pianiste sapent la caractérisation du personnage. Sans subtilité, elle n’est pas la menaçante prédatrice qu’elle voudrait paraître, mais seulement une femme névrosée encombrante et risible. Le Liebestraum n°3 de Liszt revient sans cesse pour remettre l’histoire sur les rails et relier les incertitudes en une masse didactique. On sera moins vindicatif sur le métronome, seule bonne idée au milieu d’un fatras de pénibles poncifs (le rêve dans le rêve, la paranoïa d’ado en crise passive agressive, le flou de la vision après avoir ingéré un somnifère…) : l’accessoire s’enclenche grâce aux vibrations du mur et économise des explications sans intérêt. Il est l’exception d’un film privé de dynamique, de talent et d’atmosphère. Une œuvre alimentaire, et ça repart.
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