Christophe Gans a beau être le nom le plus emblématique de la génération Starfix, force est de constater que sur la durée, c’est son ancien camarade Nicolas Boukhrief qui se fait le plus présent dans le paysage hexagonal. Une dizaine de longs-métrages au compteur et une filmographie inégale au sein de laquelle émergent quelques vraies réussites dans le thriller telles que Le Convoyeur, Made in France ou dans une moindre mesure Gardiens de l’ordre. Éclectique, quitte à parfois se rater ou flirter avec un académisme contraire au cinéma qu’il a toujours défendu en tant que journaliste puis cinéaste, son enthousiasme et sa passion ont pour effet de créer un réel capital sympathie. Tandis que son « maudit » Made in France (souvenez-vous de sa sortie en salles sacrifiée) avait eu le malheur d’anticiper les attentats de janvier 2015, sa nouvelle réalisation, Comme un fils, naît d’un désir de traiter de l’actualité. Boukhrief évoque un double point de départ quant à son inspiration. Tout d’abord, l’assassinat de Samuel Paty en 2020 duquel découle un désir de rendre hommage au métier de professeur. Dans un deuxième temps, le traitement de la communauté Rom dans la sphère médiatique et une forme de racisme endémique décomplexé. Soucieux d’inscrire ce deuxième versant vers quelque chose de plus universel, il n’hésite pas à invoquer Oliver Twist et L’Enfant Sauvage. Il n’empêche, ses envies le placent à tort ou à raison sur un terrain miné dans le contexte d’une France fracturée et ultra sensible. Jacques Romand (Vincent Lindon) est un professeur qui a perdu sa vocation. Témoin d’une agression dans une épicerie de quartier, il permet l’arrestation de l’un des voleurs : Victor (Stefan Virgil Stoica), quatorze ans. Mais en découvrant le sort de ce gamin déscolarisé que l’on force à voler pour survivre, Jacques va tout mettre en œuvre pour venir en aide à ce jeune parti sur de si mauvais rails. Quitte à affronter ceux qui l’exploitent. En luttant contre les réticences mêmes de Victor pour tenter de lui offrir un avenir meilleur, Jacques va changer son propre destin…
Premier constat douloureux, Comme un fils est moins le dernier long-métrage de Nicolas Boukhrief que le nouveau film avec Vincent Lindon. Comédien incontestablement talentueux, il n’aura échappé à personne qu’il a définitivement changé de stature et de statut depuis La Loi du Marché de Stéphane Brizé, qui lui valut un César du meilleur acteur et un prix d’interprétation à Cannes. Cette envergure nouvelle s’est accompagnée une fâcheuse tendance à vampiriser les projets auxquels il participe, quitte à les saborder ou les affaiblir par égocentrisme (L’Apparition, En Guerre). Exceptions faîtes de deux films, Enquête sur un scandale d’état de Thierry de Peretti et Titane de Julia Ducournau, il cherche désormais à se placer au-dessus des projets qu’il serait censé servir. Conscient de l’histoire du cinéma français, lui qui ne cesse d’invoquer la carrière de Jean Gabin, évolue désormais dans des eaux davantage similaires à la période années 80 d’Alain Delon, où la plupart des cinéastes qui le dirigent deviennent ses yes man, ses hommes de main au service d’un dessein narcissique. Son emploi préféré ? Celui du chevalier blanc (ironiquement le titre d’un film de Joaquim Lafosse dans lequel il a joué), garant des valeurs morales d’une société décadente. Si son jeu n’est pas à remettre en question, il est une fois de plus très crédible dans Comme un fils, cette approche condamne la plupart des longs-métrages à n’être que des véhicules à sa gloire. Le paradoxe est que Lindon n’a jamais été aussi bon que lorsqu’il s’abandonne à son réalisateur, Pater d’Alain Cavalier en est une illustration parfaite. Son obsession à interpréter les pères de substitution le mène parfois à des choses touchantes (Titane, tient entre autres à sa puissance d’incarnation) mais sombre trop souvent dans un paternalisme problématique et condescendant.
Le point de départ de Comme un fils (une agression dont Jacques Romand est témoin), pourrait tout à fait être une brève d’un journal racoleur ou le titre d’une chaîne d’infos en continu. Il amorce les prémices d’un horizon qui s’apparente à celui d’un vigilante bien droitier. Toutefois, s‘il n’évite pas les clichés, loin s’en faut (la représentation de la communauté Rom et plus particulièrement l’oncle de Victor), le film affiche très vite une approche timorée. Un entre-deux centriste qui balise le terrain d’une intrigue sans réelle surprise, où l’on suit péniblement les progrès spectaculaires d’un jeune à l’abandon aidé par une âme charitable et dévouée. Aussi juste soit-il, Vincent Lindon impose un flegme, des expressions, intonations, une diction, désormais connues, donnant moins l’impression d’une composition, qu’une nouvelle variation d’un registre qu’il récite de film en film. Jamais loin de s’autocaricaturer, il n’est pas interdit de repenser pendant le visionnage à l’hilarante composition de Jonathan Cohen, avatar de l’acteur dans Making Of de Cédric Kahn. Cependant, le ratage du long-métrage saurait être imputé qu’à sa seule tête d’affiche. Nicolas Boukhrief, également coscénariste, échoue à donner du corps à cette histoire. Il se perd dans une imagerie douteuse qu’il tente de contrebalancer par les élans humanistes de son héros. Il emballe le tout de la plus attendue des manières, caméra à l’épaule plongée dans une photo terne. Il semble même perdre tout intérêt pour le récit dès que Lindon n’est plus à l’écran, sombrant dans un traînement visuel indigne d’un cinéaste de sa présumée exigence. La liberté formelle qu’il s’est autorisée en tournant le dos à un découpage rigoureux, lui revient comme un boomerang. Il se contente alors de proposer une sorte de resucée filmique d’un cinéma post-Dardenne, où l’inventivité et la révolution opérée par les deux frères, a été galvaudée. La Confession témoignait déjà d’une tentation d’épouser des standards institutionnalisés, Comme un fils marque un point de bascule plus franc. Réalisme simulé, simulacre de cinéma social noyauté par une idéologie sous-jacente qui penche plutôt à droite, où la figure d’autorité vient remettre dans le droit chemin un jeune en difficulté… Chaque situation se retrouve explicitée par des dialogues ouvertement didactiques, tandis qu’une romance tombe comme un cheveu sur la soupe, récompensant le « charme irrésistible » du protagoniste (delonisation encore et toujours). Une famille s’est recomposée, le labeur de ce dernier a payé et ses valeurs sont récompensées. Peut-être que Nicolas Boukhrief sera gagnant sur le plan des entrées, mais il est bien triste de le voir sombrer dans un téléfilm de luxe, antipathique et apathique. Quant à Vincent Lindon, malgré les apparences, il est loin de tenir sa Horse. Assurément, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
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