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Copyright Les Alchimistes
Troisième long-métrage de Nicolas Burlaud après les documentaires engagés, La fête est finie, critique au vitriol de l’année «Marseille, Capitale européenne de la Culture» (2015) et La bataille de la Plaine, co-réalisé avec Sandra Ach et Thomas Hakenholz (2020), Les fils qui se touchent est aussi son plus personnel.
A 50 ans, le cinéaste est frappé d’une épilepsie foudroyante, conséquence d’un dysfonctionnement de son hippocampe, l’organe qui façonne les souvenirs. C’est l’occasion pour lui de revenir sur la mémoire collective et alternative que lui et ses acolytes fabriquent depuis 25 ans au sein d’une télévision de rue, Primitivi.
Nicolas Burlaud a fondé en 1998 «Primitivi, télé-vision locale de rue», association militante et revendicative. Dans la scène d’ouverture, il met en parallèle sa crise d’épilepsie avec la pulvérisation frontale d’immeubles déclarés insalubres du quartier de la Savine. Sur le terrain, le cinéaste interroge les familles violemment expulsées. Puis, à son tour de connaître un séisme intérieur avec sa brusque crise.
Avec humour, face caméra, Burland reproduit le son techno des scanners. Il s’empare littéralement de la matière créant des animations psychédéliques de ses radios et autres IRM. Psychédélique au sens premier du terme : ce qui concerne l’âme. Car très vite, le réalisateur mêle avec audace et finesse, investigation personnelle et luttes collectives. Il convoque divers neurologues et chercheurs pour mieux comprendre ce qui se passe dans son cerveau, choisissant de faire de son épilepsie un objet d’études universel. Un chercheur pointe le parallèle entre la fonction de l’hippocampe dans le cerveau et celle du cinéaste : faire des choix constants en décidant où poser sa caméra, quel angle et quelle focale choisir et surtout, que retenir au montage ? Ce qui donnera lieu à une des plus belles et limpides leçons de montage qu’on ait vu depuis longtemps au cinéma quand Nicolas Burlaud revisite ses rushes au quartier de la Plaine, quartier pivot des combats et refait le montage en direct sous nos yeux : un montage sentimental où l’on revoit dix ans plus tôt, son ami décédé depuis et son fils alors âgé de cinq ans. Un travail de mémoire que l’infatigable cinéaste a entrepris depuis plus de vingt ans et qu’il poursuit en se prenant comme sujet de son film. A l’instar de cet archéologue de rues qui pointe les timides vestiges des manifestations et actions engagées, ces « mini monuments que le pouvoir efface en permanence ».
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Dans son enquête intérieure, le documentariste lie les violents affrontements qu’il a filmés à Caracas au siècle dernier quand la police lui a tiré dessus. Ça lui a mis du « plomb dans la tête ». Il va en tirer le fil rouge de son documentaire et nous propose un concentré généreux développant trois thèmes salutaires : ce qui se passe dans le cerveau, une mémoire des luttes et une tradition rebelle et engagée de Marseille. Ainsi, Le cinéaste revient sur ce que la mémoire officielle, celle des dominants, veut faire oublier : les émeutes d’Aubagne, les barres d’immeubles que les gouvernements ont laissé pourrir. Il effectue aussi un retour sur le meurtre collatéral de Zineb Redouane, une octogénaire touchée par un tir de grenade lacrymogène en marge d’une manifestation de « gilets jaunes » à Marseille.
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Les deux séquences de démolition des immeubles à Aubagne sont édifiantes: d’un côté, Burland a filmé les souliers vernis et les escarpins des nantis et le discours du politique se félicitant de donner une « nouvelle vie aux habitants ». Puis, contrechamp cinglant : ces désormais sans toit qui contemplent avec sidération les ruines de ce qui a été leur habitat pendant des années. Cette scène explosive dans tous les sens du terme produit un effet de boucle avec le début. Ce documentaire est un magnifique objet de cinéma tant il relie la mémoire du singulier à celle du collectif, procédant par associations d’images et d’idées et nous enseigne sur le fonctionnement mystérieux de notre cerveau. Et celui, malheureusement bien plus prévisible, des détenteurs du pouvoir.
Le cinéaste se permet une embardée dans le temps dans les années 20 avec les philosophes et flâneurs Benjamin, Kracauer et Bloch qui rencontrent à Marseille une autochtone qui leur narre un quartier éradiqué. Comme le dit Nicolas Burland dans le dossier de presse :
Le génie de cette expérience de Benjamin Kracauer et Bloch, c’est d’avoir eu l’intuition qu’une errance au hasard des rues dans une ville était un médium unique où se lisent le temps qui passe, les contradictions de classe, le mouvement.
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Les fils qui se touchent est un film pirate, punk et poétique, qui touche dans le mille en alliant de façon intelligente et tonique le personnel et le politique, la mémoire de nos neurones et des luttes collectives
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