Si le cinéma indien parvient de plus en plus à se diversifier, laissant partiellement au ban l’imagerie bollywoodienne chamarrée mélangeant mélodrame sucré et comédie musicale sauce tandoori pour s’attaquer de plus en plus au cinéma de genre par le biais du film noir, les films d’action provenant du sous-continent indien ne sont pas légion. De ce strict point de vue, Kill de Nikhil Nagesh Bhat, long métrage dont la programmation à l’Etrange Festival est concomitante avec la sortie en salles, attise déjà une curiosité réelle. La seule rareté serait cependant une raison bien maigre d’aimer le film ; mais cet exemple de cinéma d’action, sans pousser l’originalité dans ses ultimes retranchements, recèle de vraies qualités de mise en scène et ausculte de façon assez pertinente le fonctionnement enrayé d’une société indienne chaotique et en colère.

Action man indien (L. Lalwani) (©Originals Factory)

Récit classique de film de cogne, de ceux qui font mal aux gencives des spectateurs par pure empathie envers les personnages se faisant pourfendre : un jeune homme bien sous tous rapports, Amrit (le beau Laksh Lalwani), montre de la tendresse et de l’amour pour sa bien-aimée Tulika (la belle Tanya Maniktala) et pour tous ceux qu’il aime mais de la rudesse pour tous les méchants possibles, puisqu’il fait partie des commandos de l’armée indienne. Problème majeur : le père de sa belle, qu’il espère épouser, est un homme d’affaires puissant et a déjà promis la main de sa fille à un prétendant argenté. Les deux fiancés doivent rejoindre New Delhi par le train ; Amrit décide de prendre le même train qu’eux pour tenter de rencontrer ce riche « beau-père ». Mais un gang de voleurs est lui aussi du voyage, ceci afin de détrousser les voyageurs. Ce qui énerve Amrit, qui va se charger de remettre un peu d’ordre et de justice dans le train d’enfer.

Kill, de façon assumée (le titre du film, sans ambiguïté, n’est indiqué qu’au bout d’une cinquantaine de minutes d’un film d’1h45), se structure en deux parties à peu près égales : dans la première, le héros est violent ; dans la seconde, il est ultra-violent. Nous ne raconterons pas le point de bascule provoquant une démultiplication de la brutalité du film, mais il permet de fait la seule évolution narrative d’un film qui, filant comme une balle (ou plutôt comme un train fou), se préoccupe moins de l’originalité de son récit que de la mise en scène de ses combats presque ininterrompus, techniquement très maîtrisée. La situation du film dans l’exiguïté des couloirs d’un train bondé permet à Nikhil Nagesh Bhat de faire montre de ses talents pour faire de l’espace un élément prépondérant (dirons-nous un personnage actif ?) des scènes de combat à la violence parfois viscérale (surtout dans sa seconde moitié, donc). Au fur et à mesure de son avancée, au fur et à mesure que le train approche de New Delhi, le véhicule semble s’obscurcir, créant parfois une pénombre de caveau (très beau combat sans lumière à signaler) dans laquelle s’invite une imagerie presque cauchemardesque, propre à montrer le caractère barbare d’un héros progressivement de moins en moins héroïque. Une séquence saisissante, la plus réussie du film, montre une mise en scène des cadavres par Amrit, ayant pendu dans l’un des wagons une demi-douzaine de bandits qu’il a auparavant trucidés, afin de faire peur à ceux qui sont encore vivants. On se prend alors à s’émouvoir de ces malfaiteurs pleurant leurs morts assassinés par un héros qui se trouve finalement être aussi boucher qu’eux.

Violence brute (R. Juyal au second plan) (©Originals Factory)

Car Amrit ne semble pas si éloigné moralement de ceux qu’il pourchasse et qui le pourchassent : si la première partie du film joue sur l’opposition entre le Bien et le Mal, entre l’honnêteté du militaire censément probe et la lâcheté des bandits de grands chemins, la seconde moitié équilibre la balance, tout le monde se fracassant le crâne pour se venger des meurtres tous plus barbares et cruels les uns que les autres qui ont précédemment touché qui un père, qui un oncle, qui un ami, qui un amoureux ou une amoureuse. De ce point de vue, la méchanceté de Kill prend une valeur étrangement mélancolique, le déferlement de coups en tous genres, la recrudescence de la violence ne se faisant finalement qu’excroissance du chagrin qui atteint tous les personnages, sans aucune exception. Le chaos qu’abrite le film se place presque dans une logique romantique, représentatif des états d’âme de protagonistes dévastés, décimant les adversaires pour se venger de morts dont les cadavres ne reviendront jamais sinon sous forme de flashbacks d’autant plus tristes qu’ils montrent un apaisement contrastant avec le présent du voyage en train.

Les voleurs et leur chef (R. Juyal) (©Originals Factory)

Ce désordre se fait aussi portrait métaphorique d’une Inde qui, malgré ses efforts, fonctionne encore selon une hiérarchie sociale inégalitaire que Kill, presque explicitement, met en scène. Les détrousseurs font partie des castes inférieures et détroussent des passagers possédant plus qu’ils n’ont eux-mêmes. Parmi ces passagers se trouve le père de Tulika, PDG d’un trust indien (comme une version fictionnelle de Ratan Tata). Le fait que le chef des bandits pense que le richissime chef d’entreprise est responsable du carnage à l’oeuvre tant dans le train que dans le film est révélateur de ce conflit encore vivace opposant socialement les diverses strates de la hiérarchie sociale indienne.

Kill dépasse donc le programme attendu de la copie efficace du film de baston à l’américaine pour déployer à l’improviste une finesse paradoxalement placée au sein de son extrême brutalité. Sans être révolutionnaire dans son approche, il n’en reste pas moins un film résolument en colère : c’est ce qui fait au final son prix.

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A propos de Michaël Delavaud

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