Le film s’ouvre sur un visage de jeune femme. Elle contemple la vacuité désolante d’un métro rempli. De ses oreilles pendent des écouteurs, tandis que parvient jusqu’à nous la voix doucement écorchée de Daniel Johnston radotant son True love will find you in the end. À cette jeune inconnue se succèdent d’autres visages anonymes, comme piochés au hasard d’une foule éteinte et patiente. Ce n’est qu’une fois l’atmosphère méticuleusement établie qu’apparaît l’actrice identifiable, Sara Forestier, que le film tente de fondre dans le décor. Elle ne porte pas d’écouteurs, la musique ne vient donc pas de ses oreilles, peut-être trotte-t-elle simplement dans sa tête. Cette dissolution discrète et modeste de la fiction dans le réel, renforcée par l’aura documentaire du noir et blanc, annonce la couleur.
Comme pour encourager le récit à s’imposer dans ce cadre réaliste dénué d’imaginaire, une voix off fait irruption. Bertrand Belin endosse le rôle invisible de narrateur extérieur pour nous conter l’histoire de Sophie, et nous offrir ses problèmes existentiels. Jeune femme de 28 ans, serveuse sans conviction, passionnée de dessin et en plein chaos amoureux, aspire à une vie plus signifiante. Ses petits tracas en font une héroïne d’un cinéma du quotidien boiteux, le cinéma des loosers romantiques. Serait-ce une heureuse coïncidence de retrouver Leatitia Dosch en second rôle, après son épatante performance dans Jeune Femme (de Léonor Seraille), film qui jouait aussi magnifiquement sur ce terrain là ? Les nuances de gris et les trajectoires incertaines rappellent plus fortement Frances Ha, qui lui même possédait quelques substances Alleniennes. Mais si chez Noah Baumbach le ton était plus poétique, dans Playlist le désordre est matériel, facilement palpable. En étant frontal et moins nonchalant, le comique est plus fragrant. Il évite aussi de ne servir de refuge qu’aux bobos désœuvrés.
Malgré les punaises de lit, la carte vitale qui plante pendant un avortement, les clients mécontents, le tartre sur les dents et un vaisseau sanguin qui pète pendant une partie de jambes en l’air, Sophie garde le cap de ses ambitions. Le leitmotiv True love will find you in the end laisse penser qu’elle recherche le grand amour. Simple leurre. Son véritable amour, ce qui la hante réellement, c’est le dessin. Bien sûr cela n’empêche pas de fantasmer l’apparition d’un prince charmant. Malheureusement le principal prétendant ne semble pas convaincu. Certaines rencontres sont les cimetières d’une relation amoureuse morte avant d’avoir pu naître, avortée. La musique et le cœur de Sophie s’emballent souvent avant de se cogner à la déception, au désintérêt ou au sexisme ordinaire.
La vraie quête est d’ordre professionnel. Elle entre dans l’âge de se faire une raison, lorsque les ambitions artistiques sont contrariées. Mais est-ce bien raisonnable ? C’est le doute qu’elle partage avec son amie et collègue Julia (Leatitia Dosch). Toutes deux paumés et précaires dans une société où, paraît-il, il faut se battre, ne pas renoncer. Ce monde de lettres de motivation formelles et de concurrence acharnée ressemble douloureusement au notre. Voir une héroïne le parcourir est aussi émouvant que pertinent. « Après 25 ans on va se faire foutre ? » lance Sophie consternée devant l’âge limite d’entrée dans l’école de dessin qu’elle convoitait. Si l’on n’a pas fait de prestigieuses études ou qu’on ne s’appelle pas Constance de Neûchatel, le chemin vers l’accomplissement peut facilement devenir une route d’autoflagellations romantiques sans garantie de réussite.
Tous ces questionnements et contretemps, s’ils sont pesants pour Sophie, nous sont livrés sous forme de scènes très courtes, mises bout à bout, liées par la narration. Malgré leur caractère parfois tragique, l’ensemble est léger, drôle. Nine Antico signe un premier long métrage inspiré et touchant.
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