New-York, Brooklyn… Williamsburg ou Greenpoint? Filmé en noir et blanc, Brooklyn est plus que jamais intemporel, d’hier mais archi contemporain, aspirant et beau. Là se trouve l’appartement que partagent Frances (Greta Gerwig, fabuleuse en actrice de sa propre co-histoire, écrite avec Noah Baumbach) et Sophie (Mickey Summer, formidable). Leur duo gai, au moins pérenne depuis un bail de location, fait subrepticement penser à un couple lesbien qui aurait troqué la passion contre la complicité. Quelques plans courts, précis, légers, dynamiques et subtils plus loin, suffisent tout en douceur pour investir ces deux personnages.
Un changement affectif majeur dans sa vie, transforme peu à peu en plomb, les chaussons ailés qu’elle avait dans la tête. Sous son vernis de légèreté et sa vitalité tonitruante, le personnage de Frances avance désormais fragilisé, comme amputé; bien que bondissant sur les trottoirs de Brooklyn pour s’engouffrer dans le métro, sur des airs de G. Delerue et de J. Constantin… A partir de ce grand chambardement, sa capacité d’agir, son inaptitude à rester là à ne rien faire, restent intactes. Mais l’énergie qu’elles requièrent part dans tous les sens. Frances se perd, se trompe, s’épuise, impulsive et déréelle. Un fil de plus, si mince et pourtant si vital, vient de se rompre avec le monde réel. Frances doit décupler ses forces pour tenter de le renouer. A partir de cette cassure aussi, c’est un bout de sa « vraie vie », particulièrement délicat, émouvant, implacable et comme cher payé, où le personnage essaie de se sauver, qui occupe tous les espaces et tous les temps du film.
Si Frances ne fait pas vraiment rire, elle prête souvent à sourire. C’est une nature généreuse, une gaffeuse de première, une danseuse moyenne. Elle n’a de cesse de remplir le(s) vide(s) : de paroles, de rires, de gestes, de pas de danse, de coups de poing, etc. Surtout, elle émeut profondément, à tenter de surnager dans son espace de leurre et de mensonge, pourtant nécessaires et salutaires.
Frances n’est pas à quelques milliers d’années-lumière de son rêve de réussite, mais à un million ! Elle bosse dur pendant ses cours, mais pas vraiment assez, ailleurs, pour pouvoir se les payer. Elle ne paraît pas contester le système, faussement méritocratique, auquel elle s’adapte au coup par coup. Pour être reconnu chorégraphe contemporain, sans doute faut-il d’abord être un bon danseur. Elle fait de son mieux, mais son énergie positive ne suffit pas à cacher son manque de grâce et de technique. Et pour être chorégraphe aujourd’hui, il faut presque créer un concept quasi métaphysique de retour sur soi vers le futur ! Frances n’a qu’une immense générosité et une sorte de candeur à proposer ; du « déjà-vu » dirait un professionnel blasé.
Frances Ha. est un personnage contemporain et romantique, attachant et passionnant. Sa mauvaise adaptation au monde, ce décalage permanent avec la vie et avec celle qu’elle va devoir vivre, s’ils sont facétieux et graves à la fois, touchent toujours juste. Abritée trop longtemps derrière ses rêves, elle s’élève et se structure peu à peu, tout en effectuant une chute vers un possible : figure non imposée dans sa discipline. Les quelques branches auxquelles se raccrocher, Frances les attrapent toutes une à une, comme autant d’abnégation, de générosité, d’amour des autres, de sa famille, d’amour de la vie tout court…
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