La Tour de Nesle est assurément l’une des expériences cinématographiques les plus singulières de cette année. A l’origine, une pièce d’Alexandre Dumas et Frédéric Gaillardet, riche certes d’une accumulation de retournements de situation qui feraient pâlir de jalousie JJ Abrams et consorts, mais surtout d’une langue de toute beauté.
Noël Herpe a choisi de l’adapter le plus fidèlement possible et l’on suit les aventures d’un dénommé Buridan (Noël Herpe) qui, fraîchement débarqué à Paris, se voit convié à rejoindre une dame voilée dans la fameuse tour. Mais sous le voile se cache la Reine Marguerite (Jezabel Carpi), qui a fait de cette fortification un antre où, sitôt ses amants consommés, elle fait jeter leurs dépouilles dans la Seine. Bref, Buridan en réchappe et intrigue pour gagner sa place à la cour ; il s’avère que Marguerite était son amour de jeunesse, qu’ensemble ils ont commis à peu près toutes les ignominies du monde etc. Nous n’en dirons pas plus, pour laisser intacte la saveur des multiples rebondissements du récit.
Le film a été tourné dans une belle économie de moyens. Une pièce unique pour tout studio, parée de dessins sur ses murs. Des placards qui font office de portes, quand ce n’est pas une trappe. Cette modicité des moyens pourrait prêter à sourire : il n’en est rien car La Tour de Nesle s’écoute autant qu’il se voit. Très vite s’opère une curieuse forme de miracle : l’oreille bercée par les voix très justes des comédiens, comme l’œil par la qualité de leur jeu, mènent l’esprit à recomposer, comme par magie, les décors — et à remiser définitivement toute forme d’incrédulité. Disons-le tout net : on se retrouve très vite à mille lieues du théâtre filmé, mais dans une espèce d’œuvre hybride, au service d’un texte, servie par une mise en scène subtile, faite de légers recadrages, de mouvements lents et fluides.
Et, parmi les cadres, une troupe où l’on croise donc Jezabel, Arthur Dreyfus ou Michka Assayas, et donc Noël Herpe. Le jeu de ce dernier vaudrait, à lui seul, le déplacement. A plusieurs reprises, il dégage un mélange détonnant de colère, de désespoir, de fragilité, comme s’il s’était laissé aller à ouvrir ses brèches les plus intimes. On songe à ces vers d’Hamlet « j’ai en moi ce qui ne peut se feindre. Tout le reste n’est que le harnais et le vêtement de la douleur. » Aux antipodes des affectations que l’on voit ça et là sur les écrans français, La Tour de Nesle nous offre quelque chose de beau, de neuf, d’inédit. Les cinéphiles auraient tort de s’en priver.
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