Après le catastrophique Doubles vies, désagréable comédie salonnarde qui reste sans doute le pire film de sa carrière, Olivier Assayas remonte de quelques crans et renoue avec l’inspiration politique et romanesque de Carlos dont il retrouve l’excellent Edgar Ramirez qui incarne très justement un espion castriste infiltrant le sol américains au côté d’autres compatriotes cubains. L’histoire est relativement connue, ayant défrayé le monde de la politique américaine au début des années 90 sous la présidence de Bill Clinton. La guerre froide touche à sa fin, le bloc communiste de l’ex URSS s’effondre. Le département de contre-espionnage de La Havane envoie cinq hommes en Floride à Miami. La mission : infiltrer et surveiller un groupe anti-castriste responsable de multiples attentats sur l’île. Ce collectif composé d’ex-cubains déçus par la politique de Fidel Castro, n’est pas commandité par les américains. Ils sont présentés, naïvement peut-être, comme des idéalistes rêvant d’une révolution pacifiste en renversant le pouvoir et en évitant plus que possible de commettre des crimes lors de leurs actions.
Réflexion intéressante sur les faux semblants et la duplicité des rôles en pleine guerre Froide, Cuba network peine pourtant à captiver, ne trouve jamais le souffle et l’ampleur que méritait un tel sujet complexe aux multiples ramifications. La faute en incombe en premier lieu à une construction narrative chaotique et souvent maladroite, nuisant à l’adhésion d’un récit confus, embarquant avec lui des personnages manquant singulièrement d’épaisseur, réduits à des pantins qui tour à tour manipulent ou sont manipulés par des instances supérieures. Ce problème de structure est même inconsciemment avoué au cours d’un flash-back très didactique, en opposition au reste, expliquant à des spectateurs un peu largués, comment cette mission visant à démanteler le réseau anti castriste s’est organisée dans le temps. Pour un peu, le film prend des allures de mini-série montée en dépit du bon sens, dans laquelle les auteurs auraient extirpé et/ou trafiqué une bonne partie de l’intrigue pour livrer un produit ne durant guère plus de deux heures. Cette impression fâcheuse se confirme par le traitement superficiel de certains personnages qui disparaissent subitement du film, lâchement abandonnés en cours de route.
Olivier Assayas se focalise essentiellement sur le personnage de Edgar Ramirez qui effectivement bénéficie d’un vrai regard de cinéaste, le seul à susciter une empathie. Il possède une épaisseur et une ambiguïté qui le rendent immédiatement attachant. Face à lui, Penelope Cruz joue l’épouse aimante et fidèle, défendant comme elle peut un rôle de potiche, sans aucun relief, à peine digne d’une « mama » issue de la télé novela. Sa présence se justifie pleinement car sans elle apparemment selon les propos du réalisateur le projet n’aurait jamais pu se concrétiser.
Pourtant, Cuban Network se laisse agréablement visionner jusqu’au bout, sans ennui véritable grâce à l’appétence filmique dont Assayas fait preuve. L’auteur des Destinées sentimentales n’a jamais été un grand cinéaste, il n’a même jamais complètement réussi un film en entier, à part peut-être ses deux rêveries avec Maggie Cheung, Irma Vep et Clean, sans doute parce qu’il posait sur son actrice un regard amoureux comme il le fera plus tard avec moins de réussite sur Kristen Stewart. Mais l’ex-critique des Cahiers du cinéma est un filmeur né, qui, dés qu’il braque sa caméra sur ses comédiens ou lorsqu’il observe les lieux, devient passionnant. Lorsqu’il oublie de penser, qu’il laisse tomber la narration, visiblement pas faite pour lui, Assayas parvient à subjuguer pas sa science du cadrage, ses effets de montage, l’élégance et surtout l’énergie avec lesquelles la caméra s’empare de l’espace afin de créer un vertige. Il a aussi un sens inné de la topographie, prendre le pouls d’une ville, d’une rue que ce soit Miami ou La havane.
Dans ses moments purement cinétiques, Cuban network séduit, laissant transparaître sa fascination pour les grands formalistes contemporains comme Wong Kar Wai et Michael Mann. Pourtant, Assayas n’arrive jamais à conjuguer la forme et le fond. La dimension réflexive de ses films apparaît souvent scolaire, quand elle n’est pas tout simplement ringarde, dépassée par la réalité pour un artiste qui se pense à la pointe de la modernité. Le discours nuancé qui renvoie dos à dos communisme et capitalisme ne produit pas grand-chose de neuf: il reste à la surface d’une piste assez truculente sur un paradoxe typique du cinéma d’espionnage, celui de présenter des pro castristes jouissant finalement du luxe d’un système qu’ils combattent et exècrent. Le film évite au moins les fumisteries pseudos avant-gardistes de Demonlover ou Personal Shopper.
Hélas, dès que Cuban Network devient bavard, il se met alors à bégayer, nous égare dans des explications plus alambiquées que complexes, ressemblant à un thriller d’espionnage lambda, évoquant en moins habile certains films de Steven Soderbergh comme Traffic.
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