Doubles vies se présente comme une récréation pour Olivier Assayas, après ses deux films avec Kristen Stewart, Sils Maria et Personal shopper. Cette tentative avortée de proposer un film léger et divertissant tout en s’emparant d’un sujet contemporain, échoue sur tous les plans.
L’ouverture en est la plus magistrale démonstration, insupportable face à face entre un éditeur et un écrivain, dissertant sur les aléas de la société contemporaine et de ses évolutions, opposant leur point de vue à coup de slogans et d’opinions toutes faites, permettant au spectateur de les positionner clairement dans leur classe sociale respective. En deux minutes, une quantité non digérable de sujets sont passés au crible d’une discussion stérile :les dérives d’internet, les dangers des réseaux sociaux, le système capitaliste, le devenir de la culture avec les progrès technologiques, la disparition ou au contraire la résurrection de l’écrit via Facebook, Twitter ou encore le livre électronique. Le nombre d’informations débité en un temps record vous découragerait presque de rester jusqu’au bout. On a la fâcheuse impression de subir une revue de presse incarnée par deux stéréotypes idéologiques aux orientations opposées. Pour résumer donc, Alain, la quarantaine, dirige une célèbre maison d’édition qui publie les romans de Léonard, un doux rêveur, sorte d’écrivain bohème, qui évidemment n’a pas connu le succès depuis longtemps. Amis de longue date, Alain s’apprête à refuser le manuscrit de Léonard. L’échange atteint des sommets de verbiage. Assayas arrive à nous faire détester des personnages ultra caricaturaux campés par un Guillaume Canet qui récite maladroitement son texte et un Vincent Macaigne qui, ô surprise, n’en finit plus de faire du Vincent Macaigne.
Si la dialectique ne peut pas casser des briques, dans Double vies elle nous les brise. Tout le film est conçu autour de ce paradigme, une succession d’échanges pontifiants entre bobos narcissiques, ne refaisant pas le monde à moitié ivres à 4 h du matin, mais proférant tour à tour de pseudo vérités dont la pertinence reviendrait à celui qui manie le mieux l’art de la rhétorique.
Dans ce marivaudage sinistre, marqué par l’absence de désir, gravite la femme d’Alain, Sélen, star d’une série populaire, frustrée de ne plus faire de théâtre, et Valérie, compagne de Léonard, assistante d’un homme politique perçu comme intègre. Evidemment, entre tromperies et coucheries, ces tristes sires discutent autour d’un verre de vin de sujets sociétaux, se cherchent à coup de petites piques sournoises. Olivier Assayas tente bien de nous convaincre qu’il s’agit d’une satire sur la duplicité de personnages vils et peu aimables, toujours prêts à sortir la phrase assassine. Trop complaisante, la critique de la petite bourgeoisie parisienne ne suscite ni empathie, ni sourire.
En grattant derrière la croûte de cette peinture peu reluisante d’une caste sociale, un sujet intéressant affleure : comment vivre sans compromis dans une époque entièrement vouée à ces compromissions? Celles-ci devenant presque une valeur, car il faut vivre avec son temps.
La désagréable démangeaison cérébrale que provoque ce film pseudo-moderne, gagné par la paresse et un naturalisme rance, est liée à son incapacité à ordonner une pensée, à laisser poindre une quelconque piste de réflexion et surtout à poser les bonnes questions. Des pantins pétris d’auto-suffisance profèrent leurs petites vérités salonnardes. Et l’évidence est mise au jour. Cette étude de mœurs ne raconte strictement rien, et semble même totalement déconnectée du réel.
Olivier Assayas n’est jamais aussi ringard que lorsqu’il ambitionne de s’inscrire dans une modernité que ce soit avec Demon lover ou Personal shopper. Il ne fait que réciter des idées provenant au mieux d’un journal de sociologie, au pire du café du commerce. Toute la réflexion autour du livre numérique ressemble à une mascarade, enfilade de poncifs où l’on doit subir des phrases telles que: « l’écrit se dématérialise » « les jeunes générations grandissent avec les ordinateurs ou encore « Internet a libéré la parole ». Le film déroule son programme proche de la fumisterie avec ce genre de formule pendant 1 h 48, laissant un spectateur groggy devant tant de vacuité.
Il faut attendre les cinq dernières minutes pour que se produise un petit frémissement, une pointe d’émotion lorsque Valérie annonce à son homme qu’elle est (enfin) enceinte. Une jolie séquence toute simple mais qui arrive bien trop tard.
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