Il y a Edouard, le peintre tiré à 4 épingles en costume britannique sur-mesure, une élégance d’un autre temps et à contre-sens. Il attend son ami, Charles l’écrivain à une station de métro parisienne. Point de Charles à l’horizon, mais Edouard fait la rencontre d’un drôle d’oiseau, tenue sportive et mini-short rouge vermillon, Gulcan semble sortir tout droit d’un imaginaire baroque, clownesque, il mime chaque mouvement de Edouard en anti-Monsieur Merde de Léos Carax. Le mot, le langage est d’emblée rompu, Gulcan parle une langue étrangère inaudible, son origine est inconnue, et leurs figures antinomiques mises en parallèles se dessinent dans les rues parisiennes. Jusqu’au centre Pompidou où Edouard retrouve enfin son ami absent Charles. De ce jeu de mime et de dupe à 3 bandes, Pascale Bodet retrace dans un Paris contemporain d’une naturalité troublante, grisâtre et banal, et dans ces rues que l’on a tant arpentées, l’extraordinaire intimité maladive entre Edouard Manet et Charles Baudelaire à la fin du 19ième siècle. Il y a là un véritable sens de la rupture, un phrasé théâtral, une mise en scène lunaire, une étrange poésie de l’absence et de la distance. Edouard et Charles, tous deux, et à leur manière vont s’interroger sur le sens même de la création artistique, sa nécessité, son engagement. Et en contre-point, son renoncement.
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La critique mondaine acerbe a fragilisé l’égo d’Edouard, pendant que Charles court à la subvention pour immigrer en Belgique, une terre d’accueil plus propice à son génie incompris. La bienséance parisienne représentée par ces visages faussement angéliques et juvéniles juge, et maltraite l’artiste dans une concurrence de l’image et de l’apparat. Jusqu’à pousser Edouard (Manet) au possible renoncement de son art. Lui maltraité par la critique pour son « Olympia », figure de proue aujourd’hui de l’art moderne, mais scandaleuse création à l’époque pour son apposition de cette figure féminine naturelle dans une grande œuvre, veut désormais peindre Olympio au masculin. D’une superbe scène où Gulcan se met à nu pour Edouard, l’échec est trop lourd à porter, et le projet avorté. « Olympia », contemporaine des « Fleurs du Mal » de Charles (Baudelaire) qui, en destin croisé, subit également l’échec de sa nouvelle vie d’expatriée en Belgique. De ces allers-retours entre Charles et Edouard nait un spleen évocateur d’une nostalgie macabre, d’une tristesse de l’inévitable solitude de la création artistique, une fatalité à une complétude impossible. Dans ce dédale de jeux de verbes, une figure ne cesse de se répéter, le chat (de « Olympia » bien sûr), tantôt mécanisé en peluche chez Charles, tantôt en apparition foudroyante dans une rue parisienne, brodé sur un cardigan, puis espiègle sur une gouttière, le chat, en symbole de rupture mais surtout de sincérité, car Manet était bien loin de toute provocation (et cette fameuse citation : « J’ai fait ce que j’ai vu »).
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L’engagement et son renoncement, Edouard (Manet) et son intimité avec Charles (Baudelaire), les échecs, le jugement mondain, une poésie de l’étrange et de l’absence, une fascinante destinée conjointe en plein doute artistique dans un film hors des normes, brisant les préceptes cinématographiques balisées pour nous offrir un moment hors du temps et des conventions souveraines.
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