Auteur, philologue et cinéaste prolifique, Patric Jean signe avec La mesure des choses un portrait du monde désabusé… mais pas seulement. 

En Méditerranée, tandis que la voix de Jacques Gamblin conte le mythe de Dédale (dont le fils Icare se brûla les ailes pour avoir voulu voler trop haut), La mesure des choses décrit à l’aide d’images et de témoignages la situation du monde moderne (pollution, réchauffement climatique…) mené à sa perte, tel Icare, par l’hubris (comportement irresponsable d’un être convaincu de sa toute-puissance) des Hommes… 

Filmé avec un impressionnant sens du cadre et de la lumière, La mesure des choses structure sa narration autour de courtes séquences montrant sans aucun commentaire des paysages naturels mais surtout des chaînes de fabrication industrielles, l’abattage d’arbres au moyen de machines sophistiquées – dont la forme rappelle les effrayants Arachnides de Starship Troopers – et des monceaux de déchets. La majorité du long-métrage consiste cependant en des scènes parlantes et incluant un ou plusieurs protagonistes : le spectateur peut ainsi découvrir les témoignages, tout autour du bassin méditerranéen, d’une scientifique présentant le squelette d’une tortue marine tuée par des déchets de plastique déversés dans l’océan, de jeunes maghrébins rêvant de quitter leurs pays respectifs afin d’accéder à une meilleure vie, ainsi que de sauveteurs et de médecins sans frontières venant en aide à des migrants, et ce aussi bien sur mer que dans les camps insalubres où ils sont contraints de résider… Un autre personnage conduit également le spectateur sur une plage où se trouvent échouées les épaves de dizaines de bateaux de migrants, le tout alors que les conséquences du réchauffement planétaire se font de plus en plus menaçantes… 

Cependant, et malgré le grand pessimisme de cet état des lieux le film parvient à distiller une atmosphère étonnamment positive. Ce paradoxe s’incarne principalement dans le texte sur Icare (écrit par Patric Jean et lu par Jacques Gamblin) disséminé à travers La mesure des choses à la manière d’un fil conducteur, ce texte ne portant pas, comme on pourrait s’y attendre, sur le destin tragique du jeune homme, mais sur les leçons que tente de lui inculquer son père alors qu’ils sont encore prisonniers du labyrinthe dont ils tenteront de s’échapper à l’aide de leurs ailes. Épousant le point de vue du père, le texte prétend ainsi, sans jamais évoquer le dénouement de ce mythe si célèbre, citer les mots que Dédale aurait adressés à son fils afin de l’enjoindre à assurer son avenir en ne commettant pas les mêmes erreurs que lui (Dédale avouant avoir conçu chacune de ses inventions par hubris et condamné lui-même l’humanité à sa perte à cause de ses découvertes)… Cette étonnante déclaration d’amour et de foi d’un père à son fils (dont on sait pourtant qu’elle ne suffira pas à sauver Icare) prend ainsi la forme d’un étonnant plaidoyer, aussi pragmatique dans son constat global que naïf dans sa volonté (laquelle semble, en toute logique, vouée à l’échec) de croire qu’un autre monde est possible si les nouvelles générations s’éveillent et parviennent, pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, à éviter le piège de l’hubris (ou « démesure ») au nom de la tempérance (ou « juste mesure des choses »).

Brillant, atypique, aussi désabusé qu’optimiste et d’une exceptionnelle poésie, La mesure des choses séduit par sa capacité à croire (et à convaincre) qu’il est permis et même juste, lorsque tout va mal, de continuer à espérer.

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A propos de Alexandre LEBRAC

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