Voir l’entretien avec Paul Schrader autour du film
A la fois limpide et complexe, le nouveau film de Paul Schrader est le fruit d’une excitante et inattendue collaboration entre Schrader et l’écrivain-culte Brett Easton Ellis -qui signe ici son premier scénario original porté à l’écran-, une star du porno : James Deen et la diva des paparazzi, ex Disney Girl, flottant de rehab en fashion week : Lindsay Lohan. En résulte une froide déflagration, un film fascinant.
Tout en étant entièrement le fruit de l’imaginaire d’Ellis, The Canyons réactualise à merveille les obsessions de l’auteur de Hardcore. Tara (Lindsay Lohan) n’est-elle pas la descendante de Niki, jeune fugueuse, descendue dans l’enfer du porno ? Le scénario est une belle épure, traitant des rapports de force et de la manipulation. Christian (Deen), fils d’un grand patron des studios, qui ira jusqu’à lui imposer son psy (joué par Gus van Sant !), sévit à Hollywood et semble consacrer plus d’énergie à organiser des blind dates orgiaques et des parties fines filmées avec sa compagne, Tara, qu’à produire mollement des films. Seul hic : Christian est un control freak et soupçone Tara d’avoir pistonné l’acteur de sa nouvelle production parce qu’il serait son amant. Dès lors, Christian va tout mettre en œuvre pour détruire le jeune acteur. Mais méfions nous des apparences, le grand manipulateur n’est pas forcément là ou l’évidence le désigne… Au tout début du film, Christian dit à Tara : « Personne n’a plus de vie privée, OK ? » Omniprésents, les smartphones et internet sont les acteurs secondaires du film. Moment cocasse et désolant quand Gina, l’assistante de production de Christian confesse avec une conviction confinant à la candeur qu’elle sort depuis un an avec son petit ami et demande au couple depuis combien de temps ils sont ensemble ? Dans un même et morne élan, Tara et Christian ânonnent « un an », sans décrocher leur regard de leur IPhone. Aux yeux dans les yeux de Gina et Ryan, ils renvoient un regard éteint, happé par les nouvelles technologies. « C’est un film sur les gens de cinéma qui ne s’intéressent plus au cinéma et, de toute façon, les cinémas ont fermé », affirme Schrader qui ouvre le film sur de superbes plans de cinémas désaffectés, en ruine. Sous ses airs de bimbo entretenue, Tara est la véritable porte-parole de Schrader. Elle seule aura le cran d’interroger frontalement Gina lors d’un déjeuner en tête à tète : « Tu aimes vraiment cinéma ? Quel est le dernier film que tu as vu ?». Stratège ou victime du système ? Gina évoque la première où elle s’est rendue ; Tara, la coupe, lucide : « Les premières ne comptent pas. » Christian, Gina, Ryan, Tara, Cynthia (ex-actrice reconvertie en prof de yoga- « Typique ! » dira Christian) et les autres auraient aussi bien travaillé dans la mode s’ils avaient été à Paris ou Milan ; fils et filles de L.A, ils traficotent vaguement des films, plus pour le pouvoir, le « buzz » qu’autre chose.
De par sa mise en scène et une interprétation au cordeau (encore une fois, bravo « Lilo » !), Schrader su donner profondeur et intensité à des caractères en apparence creux et vides. La petite rengaine malsaine de « qui-couche-avec-qui » deThe canyons trotte dans nos têtes bien après la projection. En définitive, Schrader y évoque surtout la mort du cinéma -des wanna-be friqués, faiseurs se substituant aux créateurs-, le triomphe de la médiocrité et du Mal. Froid à l’extérieur, le film se déguste comme une omelette norvégienne, chaud devant.
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