Membre des forces de l’ordre  chargées de surveiller la frontière entre les États-Unis et le Mexique, Jessica Comley (Vicky Krieps) doit en plus de la rudesse de son métier affronter une période délicate dans sa vie privée, la grave maladie de sa meilleure amie. Telle une véritable  bombe à retardement, elle  patrouille, sans états d’âme,  le long de la border line, à la chasse de tous ceux qui menacent potentiellement la sécurité de son grand et fort pays.   En 1982, Police Frontière de Tony Richardson nous immergeait déjà  dans cette même zone de contrôle de l’immigration pour révéler les réseaux de corruption et la violence infligée aux « dos mouillés », clandestins  qui tentent de franchir le Rio Grande. Une dénonciation du système, certes, mais comme dans un bon nombre de  bons polars Hollywoodiens, la présence d’un Good Cop (Jack Nicholson), prêt à risquer sa vie pour rendre un enfant à sa mère,  injectait une dose d’espoir en laissant espérer le retour de la morale. The Wall ne s’embarrasse ni de romanesque ni de romantisme pour nous plonger dans le quotidien, une fastidieuse et triste routine, d’une mission de protection toute aussi illusoire qu’inhumaine.  Après Une famille syrienne (2017), Philippe Van Leeuw, explore un nouveau terrain de guerre, mais cette fois ci  en portant principalement son regard, sans pour cela prendre leur parti, sur ceux qui portent l’uniforme plutôt que sur les civils. Le fléau de l’immigration clandestine, que Donald Trump avait promis d’éradiquer lors de son premier mandat, grâce, en partie,  à l’édification d’un mur totalement financé par le Mexique.

Une propagande patriotique comme carburant pour galvaniser les troupes. Jessica Comley semble tout droit sortie du bataillon de Full Métal Jacket (Stanley Kubrick, 1987), comme en témoigne ses récurrentes références à la divine cause. Intelligence du montage, la scène finale qui aurait pu être placée plutôt dans le récit pour servir d’explication à l’engagement  de Comley, prouve que le venin ne manquera jamais de cobayes.  Une guerre dénuée de sens, de raisons– si tant est qu’il existe des conflits armés qui puissent en avoir de valables. Dénuée de sens, dans son acception topographique ; la frontière, une ligne, ou plutôt des courbes au dessin artificiel, dont les grillages, comme dans la scène où un vieux passeur aide un petit groupe de migrants, révèlent  leur  inconsistance. Un espace incontrôlable à l’échelle du peu d’officiers censés en avoir la charge, et qui ne tournent finalement qu’en rond. Dans un style proche du documentaire, la caméra semble se perdre avec eux, quand elle ne rencontre pas sur son chemin des victimes de cette poursuite impitoyable.

Crédits Photo Bodega Films.

L’ennemi peut venir de toute part, ainsi il est aisé de s’en inventer quand la tension et la folie ont besoin d’un exutoire. Une guerre sans fin, car comme en Irak, les forces armées s’enlisent dans un désert incontrôlable par nature. Les parallèles ou la confusion entre les deux terrains de guerre sont au cœur de la mise en scène de Van Leeuw.  Les lieux de vie ;  baraquements, habitations semblent des refuges provisoires posés en territoire ennemi, on en oublierait que l’action se situe dans le 48e État de l’Union américaine. La photographie aux tons neutres, peu contrastés, contribuent à l’impression de désolation habituellement associée aux pays rongés par la guerre.

Seule femme au sein de la troupe des  traqueurs de migrants, Jessica Comley dépasse d’une large tête l’ensemble de ses coéquipiers quand il s’agit d’égrener les menaces et les insultes, et de dégainer son arme avec ou sans sommation. Pouvoir humaniser une telle machine de haine sans lui faire perdre son pouvoir de nuisance  est un défi que peu de comédiens peuvent relever, Vicky Krieps, habituée à nous éblouir par sa délicatesse, transcende ici la puissance et la violence de son personnage en dosant et variant subtilement ses effets.  Une femme Imprévisible aussi dangereuse  pour son entourage que pour sa propre personne.  Capable de sombrer à tout moment  dans la violence, comme lors de la scène du meurtre, où en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le regard se glace, le corps se raidit, la voix monte dans les graves. Mais aussi d’afficher ses blessures, ses fragilités, le temps d’un instant, dans un cadre privé. Puis de reprendre sa lutte contre l’immigration clandestine, bouc émissaire idéal d’un état et d’un être qui ne veulent pas se résoudre à affronter leurs propres démons.

 

Lire aussi les interviews de Vicky Krieps et Philippe Van Leeuw.

 

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A propos de Jean-Michel PIGNOL

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