Dans Bella e Perduta Pietro Marcello perd son spectateur en empruntant à différents genres et registres, tout en le tenant par le fil du voyage en Italie. Le film commence comme un documentaire puis s’échappe dans le rêve. Il en résulte une fable composite, un conte philosophique, qui passe par le détour du merveilleux pour nous donner à penser la réalité de Italie contemporaine.

Tommaso Cestrone était le gardien du Palais de Carditello. Cette bâtisse dont Tommaso connaît bien l’histoire illustre le désastre de la Campanie. Le Palais était au centre d’un rayonnement culturel et scientifique, sous les Bourbons, un modèle pour l’Europe entière. Quand la Camorra y prit ses quartiers, Carditello déclina et devint le symbole de la corruption qui mine la Campanie depuis le début du XXème siècle. Salie par la malhonnêteté et le désastre environnemental, l’Italie, à travers laquelle ce film nous fait voyager, est « belle et perdue ». Et elle ne peut être belle que parce qu’elle est perdue. Perdue, comme on le dit d’un passé originel, mythique, incarné par la figure de Polichinelle. Selon une croyance étrusque, il était un intermédiaire entre les vivants et les morts, un messager qui apportait la parole des défunts aux vivants. Perdue, l’Italie revient sous la forme d’une nature allégorisée, traversée de la voix des morts et d’êtres singuliers.

La séquence d’ouverture tient du documentaire. La caméra s’engouffre dans ce qui semble être un abattoir, dont elle restitue le vacarme. L’instabilité du cadre et le mouvement heurté de la caméra embarquée accentuent la facture réaliste des premières scènes. Plongée dans le réel, sans doute le réel du sang et de la carne, la caméra de Pietro Marcello ne résiste pas à l’appel de la fable. Rupture de tonalité, place aux Polichinelles de la commedia dell’arte. Ils dénoncent le monde comme une comédie à l’usage des hommes, au détriment de la nature et des animaux. L’Italie va faire parler ses grands paysages, ses humbles bergers, et son buffle Sarchiapone, legs de Tommaso à la postérité. Car plus qu’un décor du film, la nature est la matière vivante du conte. C’est le Vésuve qui crache son Polichinelle sorti des entrailles de la Terre. C’est le buffle Sarchiapone, sauvé de la mort brutale et qui accuse les hommes de cruauté et d’incurie. C’est la traversée bucolique de Polichinelle et Sarchiapone, dans le lyrisme des nuits étoilées et la rudesse de la rusticité. Et Polichinelle est à l’Italie ce que Pan est à l’Arcadie, soit l’imaginaire merveilleux de l’idylle que Pietro Marcello insuffle à son film.

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Avec ses échappées dans la fable mi-tragique, mi-absurde, Bella e Perduta se distancie du réel sans que ne s’affadisse sa dimension politique. Pietro Marcello ouvre sans doute une voie singulière au cinéma documentaire.

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