Après La Danza de la Realidad, Poésie sans fin est le deuxième volet de l’autobiographie fantaisie du grand Alejandro Jodorowsky, une adaptation libre de son beau livre autobiographique la Danse de la Réalité dont le but autoproclamé était déjà de faire danser la réalité, soit de la transcender. Les pas effectués sont primordiaux, mais las ! la danse manque de grâce.
Poesia reprend là où s’est arrêté Danza. Soit, après la douloureuse enfance de Jodorowsky, affublé d’un père tyrannique et d’une mère aimante, mais ne s’exprimant que par le chant, nous retrouvons « Alejandrito » adolescent, puis jeune adulte, fin 1940 début 1950. Il décide de devenir poète contre la volonté de sa famille et comme il le dit lui-même dans le film : quand je me sentis libre, je grandis !...La Danza…convoquait déjà un imaginaire plus Fellinien que Jodorowksien; ici Alejandro J poursuit et s’entête sur cette piste qui finit par se tarir. Malheureusement, le maître se montre moins inspiré que précédemment, recyclant ses grands thèmes de façon parfois naïve et surtout, ses « visions » sont amoindries, non pas comme l’explosion psychédélique de la Montagne Sacrée ou Santa Sangre, mais plutôt comme une redite de son film précédent. Pour Alejandro Jodorowsky, Poesía sin fin et son précédent film La Danza de la Realidad forment une unité aussi bien dans le contenu que dans la forme. « À la fin de chacun des deux films, l’enfant part vers un nouveau lieu. Il quitte mon petit village de Tocopilla pour la capitale Santiago, puis il quitte le Chili pour la France. Les deux fois, il y a cette idée du voyage vers l’inconnu ». Sentiment partagé par le spectateur sauf que l’effet de redite amoindrit quelque peu l’effet de surprise, d’ahésion.
La première heure de Poesia san fin (128 minutes) laisse augurer une suite assez proche du premier opus autobiographique de Jodorowksky, La Danza… (louangé ici (http://www.culturopoing.com/cinema/alejandro-jodorowsky-la-danza-de-la-realidad/20130904) ) avec ses audaces et sa croyance en la poésie, qu’on pouvait trouver génial ou candide, c’est selon, mais dont le brio étouffait toute suspension de croyance. Les trouvailles fusent, puis finissent par se tarir par effet de surenchère ou de redite. A l’instar du salut nazi d’abord effectué par un nain à peine visible devant le magasin paternel, puis repris par un homme sur des échasses. De même, la leçon de vie et de résilience donnée par le film envoute au début, puis lasse par son côté didactique. La frontière est fragile entre le film initiatique et cathartique et le mini-traité de développement personnel, comme le résume un de ses dialogues : Tu n’es pas coupable de vivre comme tu vis, tu serais coupable de vivre comme le veulent les autres.Le charme est rompu au bout d’une heure, dès la scène maladroite des marionnettes, entièrement jouée en voix off.Probablement, mieux vaut ne pas avoir lu avec passion La Danse de la Réalité dont le film est tiré ? La « mise en images » littérale des écrits de Jodorowsky ne passe pas, du moins, reste en deçà des récits hauts en couleur du livre d’origine. Bien sûr, et heureusement qu’il y a plein de trouvailles, mais trop de symboles qui noient l’Inspiration du grand homme et surtout, l’effet d’accumulations produit parfois de la soustraction : ainsi, quid de ces apparitions récurrentes de roadies cagoulés, venus enlever des éléments du décor ? Etait-ce une bonne idée de faire interpréter deux rôles à la même comédienne ? Celle qui incarne la mère chantante de Jodo et son premier grand amour. D’autant que l’actrice est Fellinienne jusqu’à la caricature et que ca ne lui donne pas une grande latitude d’existence. Avec ses cheveux rouges, son manteau panthère, sa jambe arc-en-ciel, on peut la trouver fascinante comme le jeune Jodo ou cheap et moyennement inspirante, c’est selon. Le metteur en scène justifie l’importance de ce choix : « Psychanalytiquement, Alejandro glisse sa mère dans sa maîtresse. C’est un glissement de l’Oedipe. Il est fasciné, parce qu’il voit sa mère comme il ne l’a jamais vue ». Au spectateur de juger si cette intention fait sens ou non ? C’est d’ailleurs et dans la narration et dans l’incarnation, avant tout une affaire de famille versant Jodorowsky : Brontis joue son grand-père, qu’il n’a connu qu’à travers moi et ma souffrance… Adan joue son propre père. Quand Alejandro se bat avec Jaime, ce n’est pas seulement moi qui me bats avec mon père, c’est Adan qui se bat avec son grand frère Brontis dixit Jodorowsky.
Une vierge nue illuminera ton chemin avec un papillon ardent est le gimmick du film. Hélas ! pas d’illumination ici, mais une vive déception, probablement à la hauteur de l’amour porté pour l‘oeuvre d’Alejandro Jodorowsky.Un hymne à la vie avec tout ce que ca comporte d’essentiel,de galvanisant et de parfois naïf. Pour paraphraser un autre de ses livres : Le Théâtre de la guérison, on peut parler de cinéma de la guérison, d’ailleurs voilà ce qu’en dit Jodorowsky dans un entretien : Guérir qui ? Le public ? Impossible, puisque le public n’existe pas. Le public est colonisé par le cinéma américain. Il ne cherche que la détente, à être soulagé de son stress pendant le temps de la projection. Et le « cinéma de réalisateur », soi-disant plus profond, est systématiquement dédié à des problèmes sociaux, l’une des dernières choses qu’on est capable de « vendre » au public. Mais ces films sociaux, ce sont des histoires de pauvres faites par des gens très riches. Une fantaisie ! Alors qui guérir ? Principalement moi. Deuxièmement, ma famille. Et en troisième lieu seulement, le public que je saurai inventer. »
Ici sont résumées l’originalité, la force et les limites du cinéaste-démiurge dont le retour des obsessions : la famille, la sexualité, l’art et les actes magiques (tarot, psychomagie, etc..) plus présentes que jamais dans Poésie sans Fin peuvent enchanter ou agacer, suivant le degré d’admiration et de complicité liant le spectateur au réalisateur chilien. Avoir autant aimé lire La Danse de Réalité n’aide probablement pas à adhérer pleinement à un film dont la photo s’avère en deça des images qu’elle convoquait à la lecture ; comme quoi, pour finir de façon Jodoroswkienne : toujours se fier en premier à son imaginaire.
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