Tout ça… c’est pour ça ?
Après cinq long-métrages, Quentin Dupieux poursuit un certain parti pris du cinéma, et si « sentir l’absurdité du quotidien et du langage, c’est déjà l’avoir dépassé » 1, il apparaît en tout cas clairement que le cinéaste s’ affranchit de tout discours extérieur, philosophique ou politique et de mots d’ordre actuels , « mainstream » même réclamant une œuvre en prise avec des sujets brûlants, appelant de ses vœux souvent intéressés l’indignation ou la compassion. « C’est pour ça » qu ‘ Au poste ! est un film subversif.
Le cinéaste met en scène entre quatre murs l’interrogatoire par un policier ( Buron, Benoît Poelvoorde) d’un homme soupçonné de meurtre ( Fugain, Grégoire Ludig). Et ce n’est ni « un beau roman, ni une belle histoire » que ce présumé coupable va raconter, pas plus qu’un récit palpitant , vertigineux ou déroutant, mais une série de faits complètement anodins et d’une platitude déconcertante. « C’est pour ça » qu’une impression d’étrangeté émane dès le début du film : ceci est bien un film de style policier mais d’un style policier extra- ordinaire, sortant des clous.
Et en effet toutes les lignes d’un récit pourtant sans suspense vont être progressivement brisées . D’abord celle de la linéarité . L ‘interrogatoire de Buron suit les sept « va et vient » de Fugain mais est interrompu autant par ses doutes que par ses propres « aller-retour » ( coups de fils, manger, voir son fils banalement suicidaire incarné par Orelsan). Interrompu aussi par la mort inopinée de son adjoint , borgne qui doit garder un œil sur Fugain. Puis celle de l’unité de lieu et de temps : le huis-clos s’autorise des échappés grâce à des flash-backs eux-mêmes perturbés puisqu’ils parlent depuis le passé de ce qui est à venir, ou de ce qui n’était pas encore. « C’est pour ça » aussi que la perception de la réalité du film et de « l’intrigue » elle-même n’est plus claire . Et c’est là que pénètre entre les jointures du film le non sens. Là que ce cinéma ne s’intéresse pas à nous faire connaître des faits mais à nous inviter à son invention.
Le décalage procède d’un principe d’incertitude qui est peut-être la condition même du rire, ou plutôt du sourire. Car Au poste! est moins une comédie qu’un film postmoderne se libérant de toutes les conventions tout en les convoquant , jouant joyeusement sur un effet de distanciation par rapport à une banalité à l’oeuvre qui en devient créatrice. « C’est pour ça » que le refus du sens est ludique : à l’image de la dernière séquence, tout est spectacle même sans spectaculaire – d’où d’ailleurs aussi un jeu des acteurs au premier degré- et alors même que le rideau semble se lever sur ce qui était en jeu, la partie recommence.
- Ionesco, Théâtre de l’absurde.
Photos : © Diaphana Distribution 2018
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).