Une voiture s’arrête au bord d’une plage. Un homme en sort, il scrute l’horizon avec l’air de chercher quelque chose. Ses yeux se posent vers ce qui semble être une silhouette dans sac de couchage entièrement fermé. Il s’approche.
« Manu, ouvre ! » lance-t-il au duvet humain. Mandibules démarre fort. Après de longs mois d’attente contrariée, les premières minutes de ce nouvel objet non identifié ont un effet rassurant. Pas de doute, Dupieux est parmi nous, à travers ces images plates et cet humour gentiment attardé. Quel bonheur que de s’aventurer dans une de ses fictions sans en connaître ni le chemin ni la destination. C’est un peu comme atterrir dans un monde parallèle où tout serait d’une absurdité naturelle et géniale.
Manu, trentenaire et à la rue, vole une voiture pour effectuer une sombre mission de trafic de valise. Dans le coffre de l’épave qu’il parvient à dénicher, il y découvre, en compagnie de son fidèle compagnon Jean-Gab, une mouche géante. Et là c’est le cerveau de Dupieux qui prend le relais, il s’agit une fois de plus d’un idiot au projet fou, mais très sérieux. Les deux amis fauchés et sans toit décident de dresser « l’animal » pour en faire une source de profit. Ils sont sûrs, ça va marcher. Le duo incarné par David Marsais et Grégoire Ludig s’en sort terriblement bien. Alors que dans leur Palmashow leurs vannes subissaient des lourdeurs, ici leur potentiel comique, intégré dans cet univers particulier, devient flagrant. Les dialogues à l’humour excentrique et minimaliste traduisent l’immaturité aberrante de ces personnages. S’ils sont très efficaces dans un premier temps, ils deviennent en revanche sur la fin parfois redondants. Trop de « taureau ! » tue un peu le « taureau ! ».
Puis, chose assez inhabituelle, un groupe de gens ordinaires et ennuyeux viennent, par le hasard du scénario, imposer leur propre décor en invitant Manu et JG dans leur villa avec piscine. C’est l’occasion pour eux de se servir dans leur « frigo de riche » et d’apprendre les bonnes manières. Même si visiblement Serge, incarné par Roméo Elvis, ne les connaît pas toutes. Il a, comme l’homme qui l’interprète, les mains baladeuses. Finalement, une seule personne sort du lot, Agnès, interprétée par Adèle Exarchopoulos. C’est là que le film devient gênant. En effet, les limites de son personnage sont floues. A priori discrète, lorsqu’elle finit par ouvrir la bouche c’est pour crier ses répliques. Sa diction insolite est présentée comme la conséquence d’une chute de ski. Mais au vu de l’interprétation de son actrice, Agnès serait en plus légèrement déficiente. Autrement dit, elle possède la maturité d’une gosse de 5 ans. Pourquoi pas. Les singeries d’Adèle suscite tout de même un malaise similaire à celui de voir quelqu’un essayer d’amuser la galerie avec une imitation grotesque et offensante des personnes souffrant d’un handicap mental.
Là dessus le film se rattrape en partie par la complicité qu’il noue avec ce personnage ambigu. Alors que ses amis ennuyeux et à peu près sains d’esprit finissent par la rejeter et la traiter de folle, le film lui donne raison. De façon générale, les simples sont ici les vrais héros. La foi en la bêtise que Dupieux cultive religieusement depuis quelques films (Steak, Le Daim) fonctionne encore très bien, même si elle s’essouffle partiellement. En comparaison avec l’architecture narrative vertigineuse des dernières minutes de Réalité, ou encore avec le twist bancal mais surprenant de Au Poste !, la fin de Mandibules paraît inaboutie voire bâclée. Dupieux demeure unique dans le paysage du cinéma français grâce à son talent créatif. Malheureusement, son génie, comme une mouche géante qu’il aurait domestiquée pour en tirer les possibles fulgurances, a perdu en liberté et demande à explorer de nouveaux territoires.
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