Quentin Tarantino – « Once Upon a Time… in Hollywood »

Tarantino au sommet ?

À l’instar de Bong Joon-ho, récemment, Quentin Tarantino a demandé aux spectateurs du film de ne pas le spoiler. Nous divulguons ici, cependant, des éléments inattendus de l’intrigue. Le lecteur doit le savoir. Le présent texte peut être considéré comme s’adressant surtout à ceux qui ont déjà vu Once Upon a Time… in Hollywood.

Dans son neuvième – et peut-être avant-dernier – long métrage, Quentin Tarantino veut partager avec le spectateur sa passion pour le cinéma, mais aussi pour les séries télévisées, et sa fascination pour le Hollywood de la fin des années soixante qu’il a connu dans sa plus tendre enfance et dont il dresse un portrait plein de mélancolie. Once Upon A Time… in Hollywood est une lettre d’amour à Los Angeles, son film où il se révèle le plus, une quasi-autobiographie.
Voici ce qu’expliquent moult critiques concernant ce qui est l’un des événements cinématographiques les plus importants de cette année 2019. Des guillemets auraient dû entourer certaines expressions utilisées par la presse, car si ce constat relève de l’évidence, il faut quand même rendre à Quentin ce qui appartient à Quentin.
Dans un entretien accordé à la revue Esquire (édition du 21 mai 2019), le cinéaste déclare : «  This film is probably my most personal. I think of it like my memory piece. Alfonso [Cuarón] had Roma and Mexico City, 1970. I had L.A. and 1969. This is me. This is the year that formed me. I was six years old then. This is my world. And this is my love letter to L.A. » (1).

Quentin Tarantino a reconstitué avec un grand souci de fidélité l’usine à rêves de cette époque – et ses alentours -, en n’ayant recours, selon ses dires, à aucun effet numérique. Il y a les studios, les avenues constellées d’enseignes au néon, un drive-in, les affiches, les revues comme Mad, les produits dérivés… Le metteur en scène prédit que ce travail qui fut titanesque ne sera probablement plus possible à l’avenir. Il a par ailleurs tourné en argentique, en 35 mm – comme pour tous ses précédents films, mis à part The Hateful Eight/Les Huit salopards (2015) pour lequel il a utilisé le format 70 mm.

© Sony Pictures Entertainment France

Les deux protagonistes qui traversent le film de bout en bout sont un acteur, Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) et sa doublure cascade, Cliff Booth (Brad Pitt). Une amitié très forte, touchante, lie les deux hommes. Ils ont besoin l’un de l’autre et s’entraident. La différence entre eux est cependant que Rick Dalton est sous les feux de la rampe – si l’on peut dire – et mène une vie cossue : Cadillac Deville 1966 et villa sise à Cielo Drive, dans le quartier de Bel Air, l’un des plus huppés de Los Angeles. Cliff Booth est dans l’ombre de Rick Dalton. Il loge, lui, dans une modeste caravane stationnée à côté du célèbre Van Nuys Drive-In Theatre – avec sa chienne adorée et fidèle, le pitbull Brandy. Ce drive-in se situe dans Roscoe Boulevard – Van Nuys, San Fernando Valley : une zone moins chic et cosmopolite que celle de Bel Air. Se situait, car il n’existe plus. Tarantino a tourné sa scène au Paramount Drive-in Theatres (2). La voiture du cascadeur n’a pas le luxe et la propreté de celle de Rick Dalton, elle est plus petite – voir les deux l’une à côté de l’autre peut faire rire -, mais plus sportive : c’est une Volkswagen Karmann Ghia (3).
Cliff Booth est au service de son ami acteur – parfois pour des tâches ingrates de la vie quotidienne –, mais c’est un dur. Il connaît son métier, c’est un battant : il a fait la guerre en tant que Béret vert ; à côté de sa caravane, on peut voir des haltères imposants qui lui servent très certainement à un entraînement intensif.
Il pourrait même avoir un tempérament excessivement violent. Il est soupçonné d’avoir assassiné sa femme, mais n’a jamais été reconnu coupable, condamné. Tarantino se plaît à laisser planer le doute, à jouer avec les attentes du spectateur. La scène durant laquelle se déroule peut-être ce meurtre est montrée, mais Cliff Booth n’est pas vu en train de passer à l’acte.

Brad Pitt et Leonardo DiCaprio sont les grands atouts du film. Qu’ils cabotinent ou pas, ils crèvent l’écran de leur présence et se complètent à merveille. Rick Dalton est un émotif et un nerveux. Cliff Booth est plus physique et il est hyper cool – façon Steve Mc Queen. Tarantino a affirmé avoir obtenu et construit un duo digne de celui formé par Robert Redford et Paul Newman dans Butch Cassidy and The Sundance Kid/Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1969) (4). Il n’a pas tort.

Rick Dalton a joué dans quelques films et s’est fait remarquer dans une série réalisée pour la télévision – appartenant au genre western. Il a manifestement du mal à se faire une place honorable dans l’univers dans lequel il travaille, à comprendre qu’il lui faut s’adapter, ce qu’il faut faire pour se faire un nom, pour devenir une vedette qui dure. Son agent Marvin Schwarz (Al Pacino) lui explique que dans le système hollywoodien du moment, incarner systématiquement les méchants (the heavies, « les violents ») comme il le fait est négatif pour son image, puisque ceux-ci ne peuvent et ne doivent pas gagner. Schwarz donne une piste à son poulain, mais celui-ci refuse.
Rick Dalton est cependant blessé par les remarques de son agent qu’il considère frappées au coin du bon sens. Il se sent dépassé, se convainc qu’il est un has-been – selon l’expression consacrée. Il se sent déchoir et en pleure. Il noie son chagrin dans l’alcool, n’arrive pas à correctement mémoriser ses répliques, et en hurle contre lui-même ou contre son image.
Tarantino s’amuse à le représenter comme un tocard aux goûts un peu ridicules, frôlant souvent le kitsch. Même s’il est parfois capable de se transcender au point d’en être étonné lui-même.

Un autre couple apparaît parallèlement à l’écran. C’est Roman Polanski et Sharon Tate qui habitent dans la même rue que Rick Dalton. Ce ne sont d’abord que des silhouettes représentées comme des images de liberté – cheveux au vent. Tarantino va progressivement se rapprocher de Sharon Tate, s’attacher à la figure de l’actrice. Des spectateurs peuvent ne pas être au courant de la tragédie qui va se jouer, mais beaucoup savent que la femme du réalisateur franco-polonais – qui est alors enceinte – a été sauvagement assassinée avec trois amis, en l’absence de son mari. Les tueurs sont des membres d’une communauté hippie sur laquelle un certain Charles Manson exerce une mainmise absolue. Tarantino distille au cours du récit quelques éléments permettant de sentir venir la nuit fatale. On peut ainsi voir Charles Manson – qui n’est pas clairement nommé, et dont c’est d’ailleurs la seule apparition – se rendre à la villa des Polanski, croyant y trouver un certain Terry et une certaine Candy.

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Puis arrive une scène centrale : un portrait – subjectif – de Sharon Tate (Margot Robbie). Celle-ci a l’occasion de se rendre depuis son domicile dans le quartier de Westwood et a l’idée spontanée d’entrer dans un cinéma qui projette l’un de ses films, The Wrecking Crew/Matt Helm règle ses comptes de Phil Carlson (1968). Ce cinéma, c’est le Fox Bruin Theatre, construit en 1937, qui existe toujours et qui se trouve sur Broxton Avenue. Elle prend un immense plaisir à voir le film, à se voir, à écouter les spectateurs réagir positivement à ses apparitions, à son jeu, à ses répliques. Tarantino nous oblige à avoir les yeux rivés sur elle.

Sharon Tate danse, est bienveillante – elle prend une auto-stoppeuse à bord de sa Porsche quand elle fait de la route – , irradie de beauté, de bonheur, d’amour. Il faut savoir qu’elle avait surnommé la villa de Cielo Drive qu’elle occupait avec Roman Polanski « The Love House ». La blancheur de sa parure – ses bottes couleur crème – symbolise la pureté, l’innocence.

Tarantino lie le parcours de ses deux acteurs avec celui qui va concerner Sharon Tate et Charles Manson. C’est sous les yeux de Cliff Booth que celui-ci vient sonner la porte des Polanski. Un détail qui se révélera être filmiquement plus significatif qu’il n’en a l’air de prime abord.
Le passage le plus important est, cela dit, l’arrivée de Cliff Booth au Ranch Spahn et sa rencontre avec des membres de la « Famille » Manson que rend possible la jolie Pussycat (Margaret Qualley). C’est l’occasion pour lui d’observer une bien étrange communauté de morts-vivants qui séquestrent un ancien ami et de les affronter une première fois.

La seconde fois où Cliff Booth aura maille à partir avec eux, c’est lorsqu’il mettra hors d’état de nuire les meurtriers de Sharon Tate et de ses amis – avec l’aide un peu inutile bien que spectaculaire de Rick Dalton. Ces meurtriers sont Charles « Tex » Watson, Patricia « Katie » Krenwinkel, Susan « Sadie » Atkins.
Car les sbires de Manson qui en veulent aux stars et aux friqués de Hollywood se retrouvent au domicile de Rick Dalton pour accomplir l’œuvre du diable (5). Et mal va leur en prendre.
On retrouve ici ce topique tarantinien du changement du cours de l’Histoire, de la transformation de faits avérés. Ce que certains appellent son « révisionnisme » – terme discutable s’il n’est pas employé en un sens vraiment métaphorique -, ou sa démarche « uchronique ». Une tournure fictio-narrative qui a fait la notoriété de Inglorious Basterds (2009) et de Django Unchained (2012).

Cliff Booth est une figure tutélaire dans Once Upon a Time… in Hollywood. Nous abondons dans le sens de Josué Moruel quand, dans Critikat, il le décrit comme « le cœur secret du film » (6). Lui, qui est vu sur le toit de la villa de Rick Dalton et a, d’une certaine manière, grâce à la caméra parfois très aérienne de Tarantino, une vue sur la maison des Polanski, est bien un ange gardien, un double positif, un réparateur. C’est celui qui prend les risques, se dévoue pour Rick Dalton. Il est ouvert sur le monde extérieur et fait le lien entre différents univers composant la Cité des Anges – alors que Rick Dalton est, en ce qui le concerne, confiné dans son monde et se comporte comme un aveugle.
Il y a une voix off dans Once Upon a Time… in Hollywood, celle d’un narrateur plutôt omniscient et « explicite » – il est le garant de la vérité tarantinienne, le cinéaste étant le narrateur « implicite » -, et cela se sent particulièrement quand il dénonce un mensonge de Rick Dalton. Peut-être n’est-ce pas un hasard si la voix de ce narrateur est en fait celle du coordonnateur des cascades : Randy (Kurt Russell). Même s’il ne tient pas Cliff Booth en odeur de sainteté, il est du côté de celui-ci. Il est Cliff Booth en même temps qu’il le transcende en étant du côté du réalisateur.

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Nous nous sommes surpris à penser qu’il pouvait y avoir une contradiction chez le réalisateur – en un sens non péjoratif – quand il en arrive à faire survivre une Sharon Tate représentée dès le début comme une icône alors que l’actrice tient en grande partie son aura de ce qu’elle a été assassinée. Mais ce serait oublier qu’elle était déjà considérée comme une créature exceptionnelle dans la seconde moitié des années soixante – de son vivant, donc -, comme une actrice promise à une grande carrière.
Sharon Tate a en effet été célébrée par le magazine Playboy dans son numéro de mars 1967 : « This is the year that Sharon Tate happens… ».
La journaliste britannique Sue Cameron, qui a travaillé principalement pour le Daily Telegraph, se souvient de sa rencontre avec l’actrice le 28 juillet 1969 : « Il will never forget how Sharon Tate looked. First of all, even though it was July, Sharon was wearing a dark ranch mink coat and had the collar framing her face. She was breathtakingly beautiful. Her blond hair color was exquisite, her cheekbones were perfectly prominent, her smile angelic, and her eyes a most beautiful light brown. When she smiled, because she was pregnant, she looked like a sweet angel, almost like not of this earth » (7).
Le réalisateur de Rosemary’s Baby parle dans son autobiographie de la façon élégante, non vulgaire dont sa femme portait la minijupe, symbole de la libération sexuelle : « Elle avait quelque chose d’innocent dans l’érotisme, quelque chose de vulnérable, presque, bien différente de l’allure agressive de la mode qui prévalut dans les années soixante-dix ». Il poursuit : « Elle m’enchantait par sa perpétuelle bonne humeur, sa nature enjouée et généreuse, l’amour qu’elle vouait aux hommes et aux animaux – à la vie elle-même (…) Sharon avait trouvé tout naturellement l’équilibre entre l’affection et le tendre souci. Plus spectatrice [C’est nous qui soulignons] que participante à nos canulars et à nos chahuts, elle possédait pourtant un formidable sens de l’humour » (8).

Le film se présente comme une fable, un songe. Est-il utile de rappeler son titre : « Il était une fois… à Hollywood » ? Tarantino réécrit l’histoire du cinéma avec la puissance du cinéma. Si le meurtre de Sharon Tate est bien un événement qui a traumatisé l’Amérique, Hollywood, et a mis fin à une époque, on peut comprendre que les deux héros attachés à une certaine tendance du cinéma américain – et hostiles, c’est surtout vrai pour Rick Dalton, au temps présent et à ceux qui le font exister tel qu’il est, comme les hippies – cherchent à la faire survivre et s’imaginent réussir.
La voix off de Randy renforce la dimension de conte de fées de Once Upon a Time… in Hollywood.

Mais ce n’est que du cinéma, une chimère, il ne faut évidemment pas être dupe. Le temps des antihéros arrive inéluctablement. Rick Dalton a finalement accepté les conseils de son agent : aller tourner en Italie dans des westerns-spaghettis. Il ne peut cependant profiter de cette expérience, ne le veut pas. Il ramène de là-bas non pas la gloire ou des promesses de contrats juteux, mais une Italienne un peu hystérique qu’il a épousée. En ce sens, Rick Dalton n’est pas, ne peut et ne veut pas être Clint Eastwood – cet acteur qui avait joué dans des séries télévisées aux États-Unis et dont Sergio Leone a fait une icône par inconoclasme.
Si la société américaine dans son ensemble, les Pouvoirs établis se crispent après l’assassinat de Sharon Tate, le Nouvel Hollywood explose.

L’écrivain et journaliste Éric Jung écrit : « L’assassinat de Sharon Tate, enceinte de huit mois, détermine dans le sang la frontière qui sépare l’avant de l’après des sixties. Le pays tout entier se réveille alors comme après un bad trip. Le mouvement hippie s’effondre brutalement et les derniers adeptes du fameux Peace and Love apparaissent aux yeux du grand public comme les fantômes de Charles Manson, des suppôts de Satan » (9).

Les débuts du Nouvel Hollywood datent d’avant le meurtre de l’actrice, mais celui-ci accélère grandement le mouvement. The Graduate/Le Lauréat de Mike Nichols date de 1967 – on entend dans le film de Tarantino quelques secondes de Mrs Robinson de Simon and Garfunkel (10). Bonnie & Clyde d’Arthur Penn également. Easy Rider de Dennis Hopper date de 1969 – à la fin du film, Rick Dalton peste contre Charles « Tex » Watson en le traitant de « Dennis Hopper ». The Wild Bunch/La Horde sauvage de Sam Peckinpah et Macadam Cow-boy de John Schlesinger aussi.

Par certains aspects, on associe plutôt Tarantino au Nouvel Hollywood. Celui, follement violent, sanguinaire, de Sam Peckinpah et de Martin Scorsese – ne peut-on penser, ne serait-ce que quelques secondes, à un film comme Casino (1995) en regardant Once Upon a Time… in Hollywood  ? On l’associe au cinéma subversif des années soixante-dix : celui de metteurs en scène italiens comme Sergio Leone ou Sergio Corbucci, auxquels il voue d’ailleurs une grande admiration. Mais Tarantino n’est pas qu’un créateur, il est aussi un spectateur, un cinéphile qui voyages à travers les époques, les genres… Qui aime Taxi Driver (1976), certes, mais aussi The Great Escape/La Grande évasion de John Sturges (1963).

Il est trop tôt en ce qui nous concerne pour dire si Once Upon a Time… in Hollywood est le chef-d’œuvre de Tarantino. Le côté décousu, un peu patchwork du scénario nous a parfois gêné. Certaines séquences nous ont semblé traîner en longueur – celle où Marvin Schwarz raconte sa vision des films de Rick Dalton avec son épouse, celle où Cliff Booth roule en voiture dans les artères de L.A., celle où il découvre le Ranch Spahn. Et ce, même si nous comprenons que cette construction et ce rythme sont très probablement voulus par le réalisateur, sont parfois justifiés, font partie de son style.

Once Upon a Time… in Hollywood est assurément une œuvre réalisée avec le coeur et les tripes. Un film-somme, aussi, par certains aspects. Un peu comme The House That Jack Built (2018) l’est pour Lars Von Trier – même s’il ne s’agit aucunement de comparer au-delà du raisonnable les deux réalisateurs et les deux films.

La direction d’acteurs, la mise en scène de ceux-ci sont magistrales – nous avons d’ailleurs affaire à une œuvre de « réflexivité cinématographique » sur les acteurs plus que sur tout autre métier du cinéma, sur tout autre aspect de l’industrie du septième art. À la question « Vous diriez qu’il [Tarantino] aime les acteurs ? », Leonardo DiCaprio a répondu : « Totalement, cela se ressent dans la manière qu’il a de vous motiver, de vous pousser, de vous autoriser des tranches d’improvisation par moments, et à d’autres de vous rappeler que les dialogues qu’il a écrits sont la bible qu’il faut suivre au plus près. Ajoutez à cela une énergie phénoménale, et un humour sans cesse présent » (11).

Les références et les autoréférences (« réflexivité filmique ») qui font de Tarantino l’un des cinéastes les plus représentatifs de la postmodernité, et d’une certaine distanciation foisonnent. Donnons quelques exemples. Concernant les références aux films d’autres auteurs que lui-même, on peut tout simplement renvoyer à la liste des dix films que le réalisateur à proposée pour mieux approcher Once Upon a Time… in Hollywood (12). Pour ce qui est des autoréférences, notons que l’expression « Once upon a time in… » est utilisée dans le trailer de Inglorious Basterds. C’est à ce film également que Tarantino renvoie quand l’acteur Rick Dalton (Leonard DiCaprio, donc) joue un tueur de nazis maniant le lance-flammes dans le film-dans-le-film : The 14 fists of McClusey – supposé être réalisé par Paul Wendkos qui a officié pour le cinéma et la télévision, mais n’a jamais tourné cette œuvre dans la réalité. Notons que Kurt Russell jouait déjà les cascadeurs dans Death Proof/Boulevard de la mort (2007). Rapprochons la rage de Brandy et celle des chiens qui déchiquettent un esclave dans Django Unchained (2012).
Il serait possible de continuer… la liste est longue.

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Les manies qui font de la personnalité de Tarantino ce qu’elle est sont là et bien là. Impossible de ne pas voir les pieds de Pussycat et de Sharon Tate, Le réalisateur nous les met littéralement sous le nez. On le présente souvent comme un podophile – nous préférons ce terme à celui de fétichiste du pied car ça le rend plus proche de celui de cinéphile. Dans quasiment tous les films du natif de Knoxville cette partie de l’anatomie humaine, précisément féminine, est représentée. Mais il faut retenir évidemment et surtout la scène de Death Proof/Boulevard de la mort (2007) dans laquelle Stuntman Mike (Kurt Russell) touche les orteils de Abernathy (Rosario Dawson) avec un doigt qu’il a mouillé de sa salive. Et celle de From Dusk Till Dawn/Une nuit en enfer, réalisé en 1996 par Robert Rodriguez, dans laquelle le personnage incarné par Tarantino – qui est aussi le scénariste du film -, Richard Gecko, lèche littéralement un pied du personnage surnommé Santanico Pandemonium et campé par l’actrice Salma Hayek.
Ce que l’on remarquera, c’est que les pieds sont plutôt sales et disgracieux dans Once Upon a Time… in Hollywood. Faut-il poser la question du pourquoi ? Ne serait-ce pas celle de leur propreté dans certains films qui devrait être posée ? Le fétichisme est sacralisateur. Mais, quand il est considéré ou revendiqué comme perversion, il peut être pouacrerie pour les tenants de la Morale et de la Norme.
Apparemment, Margaret Qualley n’était pas spécialement favorable à la monstration de ses pieds dans le film et des discussions ont eu lieu à ce sujet entre elle et le réalisateur (13).

L’esprit moqueur et mal pensant de l’auteur de Pulp Fiction est palpable.

Concernant les railleries tarantiniennes, on peut évoquer la représentation de Bruce Lee qui tient de la caricature. Bruce Lee a bien séjourné aux États-Unis dans les années soixante. Il a joué dans plusieurs séries télévisées. Parmi elles, The Green Homet/Le Frelon vert (1966/1967), et Batman (1966/1968), où il incarne à chaque fois un personnage dénommé Kato – on entend ce nom dans la bouche de Cliff Booth. Il a travaillé entre autres pour Roman Polanski, a aidé Sharon Tate et l’actrice Nancy Kwan pour régler les combats figurant dans The Wrecking Crew/Matt Helm règle ses comptes. La fille de Bruce Lee a durement critiqué Tarantino pour l’image qu’il a donnée de son père. Le réalisateur lui a répondu vertement et Shannon Lee a surenchéri (14).
Dans Les Inrocks, Antoine Desrues est revenu sur la façon dont Tarantino représente le natif de San Francisco. Avec raison, il écrit : « Il serait bon de rappeler que la séquence possède une ambiguïté certaine. Cliff Booth se remémore l’instant, qui devient un flash-back amusant au sein du long métrage . Néanmoins, celui-ci pourrait être en grande partie fantasmé » (15). Notons par ailleurs que, dans Once Upon a Time… in Hollywood, des plans tout à fait sérieux montrent Bruce Lee au travail, notamment quand il fait répéter des mouvements à Sharon Tate.

Pour ce qui est de l’attitude subversive et provocatrice de Tarantino, et parce que Once Upon a Time…in Hollywood ne peut pas ne pas parler du temps présent, on notera que le réalisateur fait plusieurs clins d’œil au phénomène #metoo et aux mœurs telles qu’elles évoluent actuellement. Quelques exemples : il ne se prive pas de mettre à mal l’image de la femme – les ronflements de Sharon Tate et de la femme italienne de Rick Dalton -, de mettre à mal leur physique – le massacre final (16). Concernant la scène où Pussycat – un nom que certain.e.s considéreront comme sexiste – propose à Cliff Booth de lui faire une fellation, on peut avoir l’impression que le cascadeur prend la louable précaution de vérifier que la jeune fille n’est pas mineure. Se rendant compte qu’elle l’est, il lui signifie qu’il ne se passera rien entre eux. C’est ce que pense d’ailleurs Alexis Lebrun dans la chronique qu’il publie dans Gonzai : « (…) il refuse les avances d’une hippie, car son personnage est mineur, ce qui peut difficilement être innocent dans un long métrage qui évoque, certes d’assez loin, le destin de Roman Polanski » (17). La situation nous paraît plus ambigüe qu’il n’y paraît et nous parierions bien sur l’idée tarantinienne qu’une relation entre les deux personnages a eu lieu, mais a été passée sous ellipse. Il n’y a qu’à écouter le dialogue, dans le ranch Spahn, entre l’une des membres de la « Famille » et le cascadeur, quand ils évoquent le charme de la jeune fille. Entendre entre les lignes. Prendre en considération la façon dont Cliff Booth exprime sa satisfaction suite à sa rencontre avec l’auto-stoppeuse.
À noter que Pussycat est incarnée par l’actrice Margaret Qualley qui fait des merveilles à l’écran grâce à Tarantino et à elle-même. Séduisante et amusante créature comme sortie d’un cartoon.

Concernant la transformation des faits historiques réels, on remarquera qu’elle ne vient qu’en fin de récit, qu’elle est tout à fait surprenante. Il est d’ailleurs amusant de noter combien, auparavant, tout au long du récit, le cinéaste a fait en sorte – même si tout le monde ne peut pas s’en rendre compte – de donner dans le vrai.
Charles Manson a bien approché la maison où habitent les Polanski. Dans le film, il pense donc qu’elle est habitée par des personnes qu’il connaît. Terry a pour nom Melcher. C’est un musicien et un producteur qui a un temps envisagé de travailler avec Manson, lequel écrivait des chansons, et puis qui a renoncé, provoquant l’ire de celui-ci. Candy, c’est l’actrice Candice Bergen qui a été la petite amie de Melcher. La « Famille » au service de Manson habitait bien un ranch que possédait George Spahn. Spahn a effectivement loué son exploitation pour des tournages et il est effectivement devenu aveugle à la fin de sa vie. Les membres de la « Famille » s’occupaient bien de chevaux et proposaient des randonnées équestres.
Sharon Tate a réellement acheté et offert à son mari Tess d’Uberville, le livre de Thomas Hardy que le réalisateur adaptera au cinéma en 1979. Debra Tate, la sœur de l’actrice assassinée, qui a beaucoup apprécié la représentation de celle-ci par Tarantino – au contraire d’Emmanuelle Seigner – , a prêté à l’actrice Margot Robbie des bijoux authentiques portés par la star.
On pourrait évidemment multiplier les exemples.

À notre sens, Once Upon A Time… in Hollywood est moins une uchronie qu’un film comportant un twist final fantasmatique et onirique. L’ « uchronie » suppose généralement le développement d’une histoire qui n’a pas eu lieu, d’une « histoire alternative », fictionnelle, imaginaire, à partir d’un événement « contrefactuel » ou « divergent ». Dans son nouveau film, l’auteur donne libre cours, grâce à ce moment conclusif, à son désir assumé d’évasion et de toute-puissance enfantine, à son goût pour la violence, pour le cinéma de la vengeance. De ce point de vue, un Tarantino est beaucoup moins nocif qu’un Christopher Nolan dont le souci maniaque du détail vrai sert en fait à falsifier l’Histoire – nous parlons ici de Dunkerque (2017). Tarantino a le souci du détail vrai pour rendre son geste filmico-narratif miraculeux le plus frappant et évident possible.
Ce moment conclusif sert au cinéaste, mais aussi au spectateur. Il permet à celui-ci de trouver son compte dans un film plutôt doux et lent, parfois déceptif – la scène où Cliff Booth découvre le sort réservé à son ami George Spahn est moins atroce que ce à quoi le spectateur pourrait s’attendre – , et qui ne monte que progressivement en tension. Il permet au cascadeur de montrer, et de se montrer à lui-même, ce dont il est réellement capable – un type d’affrontement évoqué par le Bruce Lee tarantinien plus tôt dans le film – ; et à Rick Dalton d’imaginer avoir finalement le beau rôle en faisant en quelque sorte la nique à ses pairs et à ceux s’occupent et décident de sa carrière, de se voir comme un vrai héros, de se sentir entrer avec légèreté et grande politesse dans le Panthéon des stars, d’atteindre l’éternité au cœur de cette villa de la route du Ciel habitée par une Diva.
De suspendre le temps.

Notes :

1) Michael Hainey, « Quentin Tarantino, Brad Pitt, and Leonardo DiCaprio Take You Inside Once Upon a Time…In Hollywood », Esquire, May 21, 2019.
https://www.esquire.com/entertainment/movies/a27458589/once-upon-a-time-in-hollywood-leonardo-dicaprio-brad-pitt-quentin-tarantino-interview/
2) Chris Nichols, « Take a Tour of Once Upon a Time… in Hollywood’s Filming Locations – Location manager Rick Schuler details 13 key locations, from Glassell Park to Paramount », Los Angeles Magazine, July 24, 2019.
3) Brian Welk : « Quentin Tarantino Used an ‘Absurd Amount’ of Vintage Cars in Once Upon a Time in Hollywood / Picture car coordinator Steven Butcher says he helped locate over 2000 vehicles (…) », The Wrap, July 31, 2019. https://www.thewrap.com/once-upon-a-time-in-hollywood-cars-reservoir-dogs/
4) « Le cinéaste oscarisé Quentin Tarantino a brillé lors de l’ouverture de la conférence CinemaCon, lundi 23 avril à Las Vegas, en annonçant que les acteurs  Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, vedettes de son prochain film, formeront un duo qui pourrait se révéler aussi mythique que celui de Paul Newman et Robert Redford ». Cf. Agence AFP, « Quentin Tarantino prédit que le futur duo Brad Pitt-Leonardo DiCaprio deviendra mythique », Le Figaro, 25/04/2018.
http://www.lefigaro.fr/cinema/2018/04/25/03002-20180425ARTFIG00128-quentin-tarantino-predit-que-le-futur-duo-brad-pitt-leonardo-dicaprio-deviendra-mythique.php
5) Les meurtriers traitent leurs ennemis, ceux qu’ils assassineront, de « porcs » (pigs). Il faut savoir que le projet Manson était de créer une guerre raciale en faisant croire que les bourreaux appartenaient à la communauté noire, aux Black Panthers, lesquels avaient l’habitude de nommer ainsi les Blancs qu’ils combattaient. Tarantino n’en fait pas mention, lui qui pourtant s’est intéressé au sort des Noirs. Entre autres et probablement parce que ce qui, ici, l’intéresse c’est l’univers du Cinéma.
6) Josué Morel – « Once Upon a Time… in Hollywood – Histoire(s) du cinéma), Critikat, 13 août 2019.
https://www.critikat.com/actualite-cine/critique/once-upon-a-time-in-hollywood-2/
7) Sue Cameron, Hollywood Secrets and Scandals : The truth behind stars’ closed doors, BearManor Media, Albany (Georgia), 2019.
8) In Roman par Polanski, Paris, Fayard, 2016 [première édition en langue anglaise : 1985].
9) Éric Yung, Charles Manson et l’assassinat de Sharon Tate, Paris, L’Archipel, 2019.
10) Tarantino a créé une bande originale avec des morceaux des années soixante et l’a fait comme si c’était un programme de la KHL, fameuse station de Los Angeles. A cette bande, il a ajouté des commentaires d’animateurs, des jingles, des publicités.
11) Renaud Baronian, « Brad Pitt et Leonardo DiCaprio : « Hollywood était plus libre en 1969 » – Rencontre avec les deux stars du nouveau film de Quentin Tarantino Once upon a time… in Hollywood, qui évoquent la passion du réalisateur pour le cinéma d’antan », Le Parisien, 13/08/2019.
12) Antoine Desrues, « Quentin Tarantino conseille 10 films à voir avant Once Upon a Time… in Hollywood », Les Inrocks, 23/07/2019.
https://www.lesinrocks.com/2019/07/23/cinema/actualite-cinema/quentin-tarantino-conseille-10-films-a-voir-avant-once-upon-a-time-in-hollywood/
13) « Pourquoi le fétichisme des pieds de Tarantino effrayait Margaret Qualley », Les Inrocks (Service cinéma), 01/08/19. https://www.lesinrocks.com/2019/08/01/cinema/actualite-cinema/pourquoi-le-fetichisme-des-pieds-de-tarantino-effrayait-margaret-qualley/
14) Sur cette polémique et les échanges tendus entre Shannon Lee et Quentin Tarantino, cf. Marc Arlin, « La Fille de Bruce Lee flingue Quentin Tarantino :  » Il pourrait juste la fermer  » », MSN, 17/08/2019.
https://www.msn.com/fr-fr/divertissement/celebrites/la-fille-de-bruce-lee-flingue-quentin-tarantino-il-pourrait-juste-la-fermer/ar-AAFTBaF
15) Antoine Desrues, « Once Upon a Time… In Hollywood : Tarantino revient sur sa vision de Bruce Lee », Les Inrocks, 13/08/19. https://www.lesinrocks.com/2019/08/13/cinema/actualite-cinema/once-upon-a-time-in-hollywood-tarantino-revient-sur-sa-vision-de-bruce-lee/
16) Même si les hommes en prennent aussi pour leur grade : le membre de la Famille Manson qui lui a crevé un pneu au ranch Spahn ; « Tex » à l’appareil génital duquel Brandy, la chienne du cascadeur, s’en prend longuement.
17) Alexis Lebrun, « Once Upon a Time… in Hollywood : Tarantino est beaucoup plus cool depuis qu’il ne l’est plus », Gonzai, 15/08/2019.

À consulter éventuellement :

* The Quentin Tarantino Archives, et notamment la page consacrée au film analysé ici – avec ses hyperliens : https://wiki.tarantino.info/index.php/Once_Upon_a_Time_in_Hollywood

* Le web magazine du film Onceuponatimemag : https://www.onceuponatimemag.com/

* Chris Nichols, « Take a Tour of Once Upon a Time… in Hollywood’s Filming Locations – Location manager Rick Schuler details 13 key locations, from Glassell Park to Paramount », Los Angeles Magazine, July 24, 2019.
https://www.lamag.com/culturefiles/once-upon-a-time-in-hollywood-locations/

 

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