C’est d’abord avec une sorte d’incrédulité que le spectateur croit reconnaître Ramzy, habitué des grosses comédies à la française, dans un rôle à contre-emploi dans le nouveau film de Rabah Ameur-Zaimeche. On aurait bien du mal à retrouver derrière l’éblouissant acteur principal de Terminal Sud le lauréat des Bidets d’or[1] en 2005. Dans le dernier film de Rabah Ameur-Zaimeche, le comédien campe un médecin dévoué corps et âme à ses patients, figure familière et rassurante du centre hospitalier dans lequel il exerce. Mais le climat d’insécurité qui règne dans le pays où il vit le ronge, et lorsque les menaces exercées à son encontre se précisent, le médecin, moralement épuisé, voit petit à petit son univers se fissurer.
Dans ce film oppressant qui évoque le spectre de la décennie noire en Algérie, Rabah Ameur-Zaimeche a voulu revenir sur une période qui a hanté sa jeunesse. Étudiant en France dans les années 90, ce n’est qu’à distance que le réalisateur a suivi ces années de folie meurtrière, et l’impuissance ressentie alors est en grande partie à l’origine du film. Le processus systématique de confiscation démocratique lors des printemps arabes de ces dernières décennies n’a fait que conforter Rabah Ameur-Zaimeche dans son envie de montrer la manière dont un État bascule dans le chaos.
Le film s’ouvre sur une séquence filmée depuis le poste de conduite d’un minibus, d’où le spectateur découvre un paysage de maquis, dans une atmosphère déjà lourde de menaces. Au détour d’un virage apparaissent alors des hommes en tenues militaires lourdement armés qui forment un barrage. Le chauffeur laisse sortir ses passagers, qui sont dévalisés avant de voir l’un des leurs, un jeune conscrit, se faire enlever sans plus d’explication. Le spectateur retrouve ensuite le chauffeur dans un bureau en sous-sol et met un certain temps à comprendre que le personnage n’adresse ses plaintes ni à des policiers, ni à des gendarmes, mais à des journalistes, signe de l’inaction du régime face à des exactions de plus en plus fréquentes. Cette première séquence est emblématique en ce qu’elle concentre tous les motifs du film, de la terreur à l’impunité, du règne de l’arbitraire et du soupçon au sentiment écrasant d’absurde. Terminal Sud voit alors se répéter les mêmes scènes d’horreur dans une sorte de fuite en avant, un principe qui confère une grande violence au film. Le fil narratif, assez lâche, et l’aspect répétitif de l’intrigue peuvent parfois donner l’impression que le film fait du sur place. Mais cet effet de stagnation reflète bien l’impuissance des personnages, condamnés à êtres spectateurs de l’horreur.
La violence, procédant comme par cercles concentriques, se rapproche du héros, et finit par l’atteindre, ouvrant en lui des failles insoupçonnées, brisant ses valeurs humanistes. Le spectateur, habitué à la présence imposante du docteur, voit progressivement s’effondrer ce géant aux pieds d’argile. Il faut saluer ici la remarquable présence de Ramzy Bedia, qui s’impose d’abord comme un corps à l’écran. A le voir trainer son grand corps fatigué et sa sacoche qui semble peser une tonne, le médecin paraît évoluer dans un univers où les règles de la gravité ont changé, où chaque pas, chaque geste, exige un immense effort, comme pour matérialiser l’abattement et l’angoisse qui s’emparent de lui. Jusqu’au moment où tout bascule dans un déchaînement d’une brutalité inouïe.
Si Terminal sud convainc sur beaucoup d’aspects, on peut regretter le choix de l’indétermination géographique, en ce qu’elle contrevient, essentiellement dans la dernière partie du film, à sa crédibilité. Le spectateur, qui a pu imaginer que l’intrigue se déroulait en Algérie, semble percevoir des indices contradictoires, autant d’éléments qui pourraient venir briser l’illusion de la fiction cinématographique. Rabah Ameur-Zaimeche affirme que finalement, cela se passe « en Françalgérique ». On pourra y voir une forme de maladresse. Ou penser que le choix de ne pas nommer le pays où se déroule l’intrigue renforce encore l’étrange angoisse générée par le film.
[1] récompense attribuée aux plus mauvaises productions françaises
Durée : 1h36
Distribution : Potemkine Films
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