Alejandro Amenabar – « Regression »

Après l’escapade historique d’Agora (2010), le sixième long-métrage du cinéaste espagnol, renoue avec un genre singulier à qui il a donné ses lettres de noblesse : le thriller suggestif. Plus encore qu’un film d’horreur, Regression est, de l’aveu-même de l’auteur un film sur l’esprit. Une immersion dans les ténèbres dont on ne ressort pas indemne, combinée à une passionnante interrogation sur la force des images et du pouvoir de la suggestion.

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« Il y a d’abord eu Tesis, un film à suspense qui explorait le pouvoir hypnotique qui  peut exercer l’horreur, puis Ouvre les yeux qui mettait en scène un univers fantasmatique et fébrile dans lequel le rêve et la réalité coexistent, et enfin LeAutres, avec lequel j’ai essayé de retrouver l’atmosphère des classiques du suspense » nous dit Alejandro Amenabar.  Son dernier film fait le pont également avec Agora, dont l’héroïne était une mathématicienne, persécutée pour connaître la vérité, ce qui est un des motifs qui agite Regression.  Amenabar aime bousculer ces notions de vérité et de croyance. La frontière entre croyance et superstition est souvent fine. Ici, elle explose. Amenabar retravaille le thème déjà intelligemment développé dans ses premiers films : les visions de notre inconscient nous appartiennent-elles ? Jusqu’où peut-on être manipulé ? En athée convaincu, Amenabar abandonne l’Antiquité d’Ipathie d’Alexandrie, mais continue de dénoncer les ravages de la religion et des idéologies au sens large. C’est évidemment encore plus éclatant lorsque son film prend pour décor une Amérique puritaine nourrie à la paranoïa, à l’ignorance et à la persécution de la différence.

Regression interroge subtilement – et non sans ironie – les degrés de réalité et le pouvoir de la suggestion. En 1990, dans un coin reculé du Minnesota, l’inspecteur Kenner (Ethan Hawke) enquête sur le viol dont la jeune Angela Gray (Emma Watson) accuse son père John, un homme très religieux. Lorsque ce dernier s’avoue coupable sans se souvenir vraiment des faits, un psychologue, le docteur Raines (David Thewlis), est appelé à la rescousse pour l’aider à retrouver la mémoire par «régression». Ils découvrent alors, un culte satanique. Alejandro Amenabar avait pour références L’Exorciste, Rosemary’s Baby, LaMalédiction. Pari réussi: à l’instar des films pré-cités, Regression est un film simple, classique, qui parvient à créer un climat terrifiant, d’autant qu’il s’inspire de faits divers survenus fin 80 aux USA : « Une série d’évènements réels a nécessité l’intervention conjuguée de la police et de psychologues afin de résoudre l’étrange et terrifiante affaire des abus liés à des rituels sataniques. La vague d’accusations et d’aveux qui a suivi fut sans précédent et a détruit des familles entières, provoqué le chaos et la panique sociale, et dans plusieurs cas de sévères condamnations ont été prononcées. Cela a été très intéressant de se replonger dans ces affaires des années 80 et 90 avec le point du vue du XXIe siècle » .

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Amenabar se sert du suspense qu’il instaure savamment pour évoquer la suggestion collective et déboucher sur un message sur la manipulation des masses, où religion et psychanalyse sont renvoyés dos à dos. L’atmosphère tendue, inquiétante est optimisée par une photo gris-bleue et une direction d’acteurs au cordeau : Ethan Hawkes a pris de la patine et est ad hoc dans le rôle du détective gonzo, dont l’immersion dans l’enquête sera vertigineuse ; Emma Watson est parfaite en jeune victime trouble ; Thewlis excelle dans le rôle-phare, celui du marionnettiste de nos pensées : le psychologue recourant à la régression, soit une technique psychologique utilisé pour faire revenir des souvenirs, des sensations, des images en faisant passer le patient d’un stade psychique supérieur à plus primitif. Partant de cette technique psychologique qui fut récusée par la suite et tomba dans l’oubli et de cette vague de cultes sataniques qui secoua une Amérique, hystérisée par ses superstitions, Amenabar déploie avec grâce sa patte unique, rejouant sa partition virtuose métaphysique : d’où viennent nos images mentales ? nous appartiennent-elles ? A quel niveau de réalité se situe-t-on ? La scène que nous vivons est-elle réelle ou enfantée par un imaginaire enflammé ? cet imaginaire nous appartient-il ? Qui manipule qui ?
Des questions avant tout cinématographiques.

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Mêlant intelligemment classicisme dans la forme et l’inspiration – Amenabar avoue avoir pensé aux films des années 70 de Lumet, Coppola…- avec Regression, l’auteur hispanique continue de creuser le sillon vertigineux de la mise en abyme réalité/rêve, plus exactement cauchemars ici. Élégant mais plein d’étrangeté, respectueux du genre et enveloppé d’une grande amertume sur le monde, Regression camoufle un peu sa modernité derrière son classicisme. Fidèle à ses obsessions et toujours aussi talentueux, Alejandro Amenabar délivre une œuvre à la fois grand public (efficacité de la terreur éprouvée lors du film) et film d‘auteur, audacieuse, qui ose flirter avec le métaphysique et résonne (ou déraisonne) bien après sa vision.

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