Boyhood, le nouveau film de Richard Linklater, était sans hésitation notre grand favori à Berlin, et l’Ours d’argent qu’il y a reçu (meilleur réalisateur) ne nous a pas semblé honorer dans toute sa mesure l’émerveillement que ce film cause, et sa puissance émotionnelle. Les festivaliers avaient pourtant donné l’impression en voyant ce film d’avoir vécu un grand transport cinéphilique, de ceux qui vous laissent, au sortir d’une projection, les yeux humides, un sourire jusqu’aux oreilles et, au coeur, le sentiment que le Septième Art est vraiment une des plus belles choses au monde.
L’expérience que Boyhood propose est bel et bien puissante et totale. C’est un film qui ne cherche à démontrer rien de particulier mais qui, ni vu ni connu, emporte bel et bien le spectateur dans un parcours émotionnel qui le renvoie à la beauté de la vie même, simplement, sans grandiloquence, parce qu’entre le sympathique début du récit et son assez géniale conclusion, trois heures plus tard, on s’est mis à en aimer infiniment les personnages, en particulier le garçon qu’évoque le titre. Pendant 164 minutes, on forme vraiment avec eux une famille.
L’impact de Boyhood, et sa richesse,ne tiennent pas à un propos, mais à la texture du film, d’une rare intensité. C’est que le réalisateur a fait ici quelque chose d’unique : en effet, Linklater a filmé cette fiction sur douze ans, avec les mêmes acteurs. Sur douze ans, d’année en année (plus précisément d’été en été), il suit la vie d’un garçon (incarné, littéralement, par Ellar Coltrane), à travers quelques déménagements et changements de situation familiale, jusqu’au moment où, comme sa grande soeur, il finit par quitter le foyer maternel pour aller faire ses études. Au fil de son enfance, il va se faire des amis, quelques petites copines successives (y compris celle qui causera son premier gros chagrin amoureux), et surtout il va se constituer une personnalité, aussi « cool » que celle de son père, aimante que celle de sa mère, nonchalante que celle de sa soeur, et en même temps totalement singulière pour le spectateur, et touchante pour cette raison même – c’est qu’on a appris à en connaître toutes les subtilités.
Au début, on ne sait pas encore ce qu’on va vivre, mais on sent déjà l’amour dans le regard qui se pose sur la famille du petit Mason (5 ans) – il est vrai qu’un des personnages les plus délicieux d’emblée est la propre fille du réalisateur, Lorelei Linklater, qui joue la soeur aînée de Mason, Samantha, une fillette espiègle qui n’a pas sa langue dans sa poche. Très vite aussi, comme les deux enfants, on attend avec impatience chaque week-end passé avec leur père (Ethan Hawke), un éternel jeune dont le sens des responsabilités peut être sujet à caution, mais jamais la tendresse, et qui fait de son mieux pour dispenser, sans prendre ses enfants pour des imbéciles, des préceptes sagaces mais aussi teintés d’idéalisme et surtout pleins de ce genre d’humour génial qui s’exprime parfois entre amis autour d’un peu d’herbe. C’est l’été et tout est vivace et multicolore comme l’enfance, bien que la couleur préférée de Mason soit le bleu. Les réparties et boutades sont drôles et sympathiques. Tout est ensoleillé.
C’est cet élément de réalité qui donne à cette épopée fictionnelle sa texture émotionnelle incroyable. Une seule expression sur le visage de Mason, un seul geste infime fait monter chez le spectateur une bouffée d’affection indicible, comme si c’était notre petit garçon. Quand il part faire ses études, jeune homme, et prêt à commencer tout un autre chapitre de sa vie, comme sa maman, on est triste comme les pierres que ce soit déjà fini, nostalgique comme quand il faut, avant un déménagement, peindre par dessus les traits de crayon qui ont marqué la croissance des petits sur le chambranle d’une porte. Parce que c’est une belle vie qu’on a vécue pendant trois heures, parce qu’on y a été heureux.
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