De l’avis même de Richard Linklater, Everybody wants some !! s’inscrit dans la continuité de Boyhood (2014) et commence là où ce dernier s’achève, sur un campus. Alors que Boyhood suit l’évolution des protagonistes sur le temps long, de l’enfance à l’entrée dans l’âge adulte, Everybody wants some !! condense en trois jours les épreuves de jeunes garçons à l’aube de l’âge des responsabilités. Tout comme Dazed and Confused (1993) qui concentrait en une soirée les péripéties et expériences initiatiques de lycéens, à la veille des vacances.

Années 80. Les bras chargés de vinyles, Jake, jeune homme avenant et athlétique, débarque sur son campus. Le compte à rebours de ces trois jours est lancé. Jake se heurte à l’accueil sarcastique et grinçant, si ce n’est indifférent, de ses colocataires et coéquipiers déjantés. Nouveau lanceur de l’équipe de baseball, il suscite quelques jalousies et doit faire ses preuves pour s’intégrer dans une maison brinquebalante tenant plus squat de hippies attardés que de la résidence d’étudiants sportifs et hospitaliers. Comment faire groupe, si ce n’est à subir les passages ritualisés de l’intégration, au mépris de sa singularité et de ses choix, parfois ridiculisés ? Comment même résister à la pression du groupe, quand il est déjà si difficile d’être soi ?

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Copyright Constantin Film Verleih GmbH

Everybody wants some !! attrape l’air du temps à travers des expériences saisies sur le vif, sans le souci trop formel du récit. Résistant à la tentation de la reconstitution vintage, à grand renfort de clins d’oeil, il intègre sans artifice, tout naturellement, l’époque et le quotidien de ses héros. Il semble laisser à chacun de ses personnages la possibilité de bifurquer à la croisée des chemins. Sur fond de rock, punk et funk, les rivalités sexuelles et sportives constituent les défis que se lancent des protagonistes à grands renforts de blagues et de sarcasmes. Le titre du film est tiré d’une chanson de Van Halen, qui selon les dires de Linklater, résume l’ambiance et les obsessions des jeunes de 18 ans, accaparés par leur sexualité et l’envie d’exister aux yeux des autres. Dazed et Confused jouait déjà magistralement de la bande son pour restituer l’esprit des années 70 et empruntait son titre à une chanson de Led Zepplin. La musique est un élément dramaturgique à part entière dans Everybody wants some !! , qui ménage des clins d’œil à la comédie musicale. Une séquence plutôt heureuse, tournée en voiture, voit les protagonistes chanter Rapper’s Delight à l’unisson et former un groupe uni. A cet instant, le ton et le rythme du film sont donnés autour de la future équipe en train de se constituer, mais qui n’aura de cesse de fissurer l’esprit de solidarité.

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L’humeur potache ne se dégrade pas dans la conventionnelle comédie estudiantine. Certes, les situations attendues émaillent le scénario – beuveries, gags, rixes et drague -, mais les anecdotes servent surtout le portrait des personnages, singuliers et parfois décalés. Linklater brosse les traits d’une génération joyeuse et inquiète, toujours à l’affut de railleries, tout en dessinant des trajectoires individuelles à l’aune de rivalités viriles et de bizutages de convention. Loin du buddy-movie attendu, le cinéaste ne fait jamais preuve de complaisance vis-à-vis d’un humour collectif parfois étouffant où l’individu se doit d’adhérer – et de s’adapter – à l’entité pour être accepté. Émettre un avis différent, s’extraire de la pensée commune, c’est prendre le risque d’être exclu. Le regard de Linklater est précis, sans condescendance, moqueur, mais jamais cynique ou malveillant. Bien au contraire, il se refuse à s’arrêter à ce que dégagent instantanément ses protagonistes : du cliché, du stéréotype, et de la joie de vivre. Il scrute les apparences, les mécaniques d’intégration sociale et s’interroge sur la manière dont le rire, aussi gras et conventionnel soit-il peut être une protection qui travestit, dissimule les fissures. Car s’il y a bien une constante chez le cinéaste, c’est son amour profond pour ses personnages.

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C’est ainsi qu’ Everybody wants some !! révèle ses tourments. Au décours de ces trois jours, les relations se nouent et les protections tombent. L’esprit d’équipe et la vie en commun ne signifient pas pour autant communauté de destins. Les rapports sans ménagement dessinent bien l’esprit individualiste de la jeunesse américaine, où personne ne soucie vraiment de l’autre quand il s’agit de tracer sa propre voie. Chaque protagoniste est ainsi laissé au seuil d’un avenir dont la responsabilité lui incombe, en dépit de ses congénères.

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