Le dernier film de Linklater semble rompre avec ses précédents opus consacrés à des portraits de la jeunesse, que ce soit Boyhood (2014) ou Everybody wants some !! (2016). Last Flag Flying, s’il aborde l’entrée dans l’âge adulte, le fait sous l’angle de la guerre en Irak, derrière laquelle surgit inévitablement le traumatisme de la guerre du Vietnam.
En 2003, Larry Meadows (Steve Carell), médecin ayant combattu dans les rangs des Marines, retrouve deux anciens camarades de la Navy grâce à Internet. Buddusky (Bryan Cranston) est devenu barman et n’a rien perdu de sa grivoiserie, tandis que Mullhall (Laurence Fischburn) a trouvé une sorte de rédemption dans sa conversion en tant que pasteur. Autrefois liés par une franche camaraderie que la guerre du Vietnam a scellée, les trois comparses n’ont désormais plus rien en commun. Larry vient leur demander de l’aide pour ramener la dépouille de son fils mort en Irak, afin de l’enterrer près de chez lui, refusant que son fils soit inhumé dans le cimetière militaire d’Arlington.
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La trajectoire des protagonistes prend la forme d’un road-movie parfois cocasse, offrant à ces anciens combattants des occasions de dépasser leurs divergences idéologiques et de surmonter la distance pour retrouver un lien qui les avait unis par le passé. Comme toujours, Linklater travaille la profondeur de ses personnages derrières des stéréotypes apparents. Il ne brosse jamais de portrait psychologique fouillé, mais donne à voir les failles qui traversent les personnages, que ce soit dans leur extrême retenue ou leurs intrépides excès. Steve Carell joue un personnage ébranlé, ayant intériorisé ses blessures successives, face à ses camarades plus exubérants, qu’ils versent dans la grivoiserie bruyante (le déjanté Bryan Cranston) ou la bondieuserie évangélique (Laurence Fishburne, en reborn christian). Ce trio peut paraître faussement composé, ou du moins passer pour une formation de circonstance, si ce n’est que la disparate ouvre sur la possibilité d’un discours critique.
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Derrière l’esprit de camaraderie virile dont Linklater nous avait fait goûter les délices et les ambivalences dans Everybody wants some !!, se dessine un portrait nuancé de l’Amérique patriotique. La première partie du film dresse une critique acerbe de l’héroïsme militaire, d’autant que le fils de Larry est mort dans des circonstances très éloignées des raisons officiellement avancées. Le film pousse jusqu’à la satire de l’hypocrisie du pouvoir militaire, à travers la figure truculente de Buddusky. Mais si le verbe haut et coloré du barman a une efficacité comique, qu’en est-il de la valeur que l’on accorde à ses propos de boute-en-train porté sur la bouteille et la provocation ? Ce personnage décalé, l’un des plus attachants puisqu’il n’hésite pas à apporter son aide à son ancien ami Larry, représente toute l’ambiguïté du discours subversif sur la guerre. Face à lui, la rigidité puritaine du pasteur ne laisse pas d’amuser, car elle n’en est pas moins grotesque. Renvoyés dos à dos, ces personnages semblent nous indiquer que le cinéaste ne prend pas parti, mais donne seulement à voir comment la guerre est perçue par les vétérans. Cependant, les postures des personnages s’effritent et derrière leur réserve ou leur incivilité, leur patriotisme refait surface au fur et à mesure que leur ancienne amitié se reforme.
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En effet, le film montre comment toute guerre, aussi absurde qu’inutile, permet d’éprouver les élans de solidarité et d’humanité. A cet égard, on comprend que Buddusky et Mullhall ont une ancienne dette envers Larry et qu’il leur offre une occasion de la solder trente ans après. A demi- mots, ils évoquent un épisode dont on ne comprendra jamais à quoi il réfère exactement, où Larry a couvert ses camarades et a fait de la prison en endossant une faute pour eux. On comprend alors que le patriotisme vient moins de la haute idée que l’on se fait des politiques qui dirigent la nation, mais que l’armée est un corps dont le ciment est la solidarité entre soldats. Toute la seconde partie du film travaille ainsi les thèmes de l’hommage, de la bravoure et de l’honneur à travers une question : si le fils de Larry n’est pas enterré à Arlington, son père cédera-t-il au désir de l’armée de l’inhumer en habit militaire ou bien s’entêtera-t-il à lui faire porter son costume d’étudiant ? L’intrigue débouche sur un compromis qui édulcore la dimension critique du film. Même la désinvolture et les blagues potaches des camarades ne font pas le poids face à une fin aussi convenue. On peut regretter que Linklater n’ait pas assumé jusqu’au bout sa visée polémique et qu’il terminé sur une note d’adhésion. On peut aussi considérer qu’il a voulu refléter les voix intrinsèquement dissonantes d’une certaine Amérique, à la fois amère sur les visées politiques de ses dirigeants et leurs engagements bellicistes, mais profondément patriotique en dernier lieu.
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