Tomorrow is yesterday
Vingt-quatre ans après avoir revisité le péplum et relancé le genre, Ridley Scott revient avec Gladiator II, une suite audacieuse qui parvient à conjuguer hommage au passé et souffle nouveau, en référant à l’esthétique outrancière des superproductions des années 1950 et du cinéma bis… Centré sur Lucius Verus (Paul Mescal), neveu de l’infâme Commode, ce nouvel opus explore les thèmes de l’héritage, de la transmission et du combat contre la corruption dans un Empire romain toujours plus décadent.
Dès les premières minutes, Gladiator II s’attache à reconnecter le spectateur avec l’univers de son prédécesseur : dans un générique animé digne de celui de Dave McKean pour la dernière version de Caligula de Tinto Brass dont la restauration avait fait grand bruit en 2023, des images de Gladiator I sont reprises en rotoscopie. Dans les prises de vues réelles, les motifs visuels emblématiques – la main dans les épis de blé, les chevaux Scarto et Argento sur l’armure de Maximus, les scènes en noir et blanc évoquant l’au-delà, entre autres images reprises – tissent un lien émotionnel fort avec le premier film. Mais Ridley Scott ne s’arrête pas là : en plaçant Lucius dans les pas de Maximus, jusqu’à revêtir son armure lors du dernier combat, le réalisateur interroge la notion de filiation, non seulement biologique, mais aussi spirituelle. L’arène, véritable personnage à part entière, devient ici un lieu de convergence symbolique et technologique. Les séquences de combats, sublimées par des effets spéciaux ultra-réalistes, repoussent les limites du spectaculaire tout en maintenant une dimension humaine et tactile, notamment grâce à l’attention portée aux décors et aux costumes par Arthur Max et Janty Yates, l’indéfectible équipe de Ridley Scott.
Si le premier Gladiator mettait en avant un héros solitaire dans une quête de vengeance, cette suite adopte une approche chorale, multipliant les perspectives narratives. Cette structure, bien que riche, dilue légèrement l’intensité dramatique, mais permet d’approfondir la complexité des enjeux politiques et sociaux. Notons aussi la modernisation du rôle des femmes dans ce néo-péplum. Lucilla (Connie Nielsen) joue un rôle central dans les intrigues politiques, tandis qu’Arishat, guerrière et épouse de Lucius, démontre une compétence martiale impressionnante. Le film s’inscrit ainsi dans une tendance récente à représenter des figures féminines fortes, à l’image de 300 : Rise of an Empire ou Wrath of the Titans.
Là où Gladiator II se distingue, c’est dans une capacité à mêler des inspirations classiques et contemporaines qui constitue la griffe de Ridley Scott lorsqu’il se rapproche de l’Histoire : qu’on se souvienne de Kingdom of Heaven hanté par la Guerre du Golfe ou du Dernier Duel et de son dialogue avec #Metoo. En convoquant la philosophie stoïcienne et des références aux épopées antiques, le film explore des thèmes universels tels que le courage, la justice et la résilience face à l’adversité. En parallèle, il intègre des codes modernes du cinéma d’action, à la manière des films de super-héros, sans perdre de vue son ancrage historique.
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Les avancées technologiques enrichissent également cette dualité. Si les foules numériques dans le Colisée évoquent les grandes productions modernes, l’utilisation de colorimétries chaudes, de décors patinés et d’effets spéciaux à l’ancienne, montrant têtes coupées et jets d’hémoglobine, renoue avec l’esthétique artisanale des péplums des années 1950. Comme dans La tunique, Quo vadis !, Alexandre le grand, Les dix commandements, Spartacus et tant d’autres, les décors en vitres peintes et maquettes se laissent deviner pour un « effet artificiel » qui rompt avec la recherche habituelle d’ « effet de réel » de ces films. Ce mélange confère à Gladiator II une identité visuelle unique, à la fois hommage et réinvention du genre.
Le Kitsch des mises en scène carton-pâte et des requins dans l’arène ne peuvent être fortuits au vu de la maîtrise du genre de Ridley Scott : gageons qu’il s’agit, dans une réaffirmation massive de la puissance de la république dans la ligne du Spartacus de Stanley Kubrick, d’en montrer les revers grotesques, qui, à n’en pas douter, ont progressé depuis Gladiator I.
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Gladiator II adopte une logique de franchise similaire à celle de 300 et sa suite, en élargissant l’univers tout en introduisant de nouveaux personnages et arcs narratifs. Là où le premier film se concentrait sur des duels terrestres, cette suite explore les combats navals et les affrontements de factions, opposant Lucius Verus et ses alliés démocrates à Geta et Caracalla, symboles de la tyrannie. Ce choix d’écriture permet d’enrichir l’intrigue en mettant l’accent sur la politique intérieure de Rome.
Au-delà du spectacle, Gladiator II offre une critique percutante de la société du spectacle et de la quête incessante de pouvoir. La décadence de l’Empire romain résonne avec des préoccupations contemporaines, notamment la montée des tyrannies et la manipulation des masses. À travers des scènes mémorables, le film met en lumière l’érosion des valeurs démocratiques face à la corruption et à la vacuité des idéaux. Au lendemain des élections présidentielles américaines, le film peut se lire comme une critique violente de l’administration en place dont il prophétise la victoire.
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Gladiator II réussit le pari difficile de se hisser à la hauteur de son illustre prédécesseur tout en apportant une vision renouvelée. Porté par des performances solides, une esthétique grandiose et une narration riche, ce nouvel opus dépasse la simple suite pour devenir une fresque intemporelle – et donc qui se moque bien d’être anachronique. Si certaines failles scénaristiques subsistent, elles n’entachent pas la puissance émotionnelle et visuelle du film, qui s’impose comme un jalon marquant dans le renouveau du péplum.
À 86 ans, Ridley Scott semble encore trouver un plaisir enfantin à jouer avec les stéréotypes d’un cinéma plus vivace et plus espiègle que jamais.
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