Retour au pays pour Ritesh Batra, jeune cinéaste indien découvert avec France en 2015, avec le charmant The Lunchbox, succès critique et public, l’invitant à s’exiler en Occident. D’abord en Angleterre avec A l’heure des souvenirs, œuvre intéressante sur la mémoire et le temps qui passe, loin des clichés redoutés, et ensuite aux États-Unis via Netflix avec Nos âmes la nuit réunissant Robert Redford et Jane Fonda.
Le photographe débute comme une délicate rom com un rien suranné, clin d’œil ironique aux productions Bollywood conçus sur le même schéma social. Mais derrière la bluette sentimentale, faussement ingénue, se dissimule une œuvre plus subtile et profonde, réflexion émouvante sur une rencontre improbable entre deux âmes en peine et la naissance d’un amour. Rafi survit comme il peut dans les rues de Bombay. Il fait partie de ses innombrables photographes de rue tirant le portrait des gens, des touristes pour la plupart, afin d’immortaliser leurs souvenirs. Célibataire endurci, la quarantaine, plutôt beau gosse, il traîne sa silhouette de loser assumé, désabusé par une vie sans lendemain. Son existence se résume à son métier et ses petites virées le soir avec ses copains, profitant des quelques roupies glanés ici et là. Mais il est le seul parmi son entourage à ne pas être marié, situation mal perçue en Inde, encore prisonnière de ses valeurs archaïques. En tout cas, sa grand-mère ne voit pas d’un bon œil son célibat et décide d’arrêter son traitement médical tant que son petit-fils n’a pas trouvé son hymen.
Comme par enchantement, la vie peut être surprenante, surtout au cinéma, ce que n’ignore nullement Ritesh Batra, conscient de la mécanique artificielle de son scénario : Rafi croise la route de Miloni qu’il prend évidemment en photo. Ils n’auraient jamais dû se rencontrer, elle qui vient d’un milieu aisé, progressiste et cultivé, tourné vers la culture occidentale. Une complicité s’installe entre eux au départ. Rafi a une idée plutôt saugrenue et amusante, rappelant les ressorts comiques des comédies de l’Age d’or d’Hollywood imaginés par Ernst Lubitsch ou Leo McCarey. Il demande à Miloni de se faire passer pour sa petite amie aux yeux de sa grand-mère dans le seul but qu’elle reprenne son traitement. Nimbé d’une lumière ocre et d’une caméra caressante, dans un style volontairement publicitaire, atténuant le réalisme de certaines situations, Le photographe à l’intelligence de se taire, d’observer les comportements des personnages, à l’instar de Miloni, mutique de la première à la dernière image, qui se laisse guider par le charme de son prince charmant des rues de Bombay, comme on entrerait dans un rêve.
La suite vous la connaissez. Ou plutôt vous pensiez la connaître. Car derrière cette comédie romantique pleine de charme et de non-dits, le réalisateur dresse un constat social assez triste et finalement universel sur les rapports de classes. Le conte de fée est peu de choses face aux conventions sociales et aux valeurs traditionnelles qui perdurent. La modernité à laquelle aspire le pays, à deux vitesses, est en fin de compte, plus économique que sociétale. La difficulté d’échapper à son milieu n’est pas un thème nouveau, ni celui des amours impossibles, mais Batra insuffle une ironie et une sensibilité assez rares dans ce type de productions, loin des gros sabots du cinéma indien commercial.
A partir d’un refrain connu Ritesh Batra traite délicatement son sujet, la séduction du spectateur lui paraissant une étape nécessaire pour faire passer sa vision du monde. De plus, il s’avère un remarquable directeur d’acteurs, à commencer par les deux comédiens principaux, Nawazuddin Siddiqui et Sanya Malhotra, au jeu très nuancé. Mais la palme de la fantaisie espiègle en revient à Farrukh Jaffar, grand-mère incroyable de naturelle au point de penser qu’il ne s’agit pas d’une actrice professionnelle.
Moins charmeur et facile que The Lunchbox, Le photographe est un film en trompe l’œil, triste derrière sa forme visuelle et narrative séduisante et complaisante, se terminant par un épilogue magnifique laissant un goût amer dans la bouche. La drôlerie de certaines situations et la joliesse plastique d’une mise en scène parfois agaçante ne sont que des enjolivures masquant intelligemment un beau film mélancolique, ne sombrant jamais dans le mélo, restant lucide sur la difficulté d’aimer dans un monde qui n’accepte pas de briser la norme.
(2019 /Inde) de Ritesh Batra avec Nawazuddin Siddiqui, Sanya Malhotra, Farrukh Jaffar, Abdul Quadir Amin
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