Second long métrage de Romain Quirot sortant en salles, Apaches a une qualité et un défaut, tous deux contenus dans une même idée : il s’agit d’un film « vert », comme on pourrait parler d’un vin prometteur mais n’ayant pas encore atteint sa pleine maturité. Son projet n’est pas sans ambition : dépeindre la Belle Epoque par le biais de ses bas-fonds, de la révolution résolument anti-système menée par ces néo-gangsters infiltrant les évolutions sociétales et culturelles de cette période-charnière. Ce n’est cependant pas la vérité historique qui motive le projet de Quirot, tout entier tendu vers l’efficacité du récit, mêlant allègrement les caractéristiques du divertissement populaire de luxe et l’énergie de la série B, entre soin (par moments excessif) apporté à à la reconstitution et à la direction artistique et brutalité parfois débridée de cinéma de genre.
Trois poulbots, Billie, Ficelle et Polly, vivent de rapines dans le Paris populaire de la fin du XIXème siècle. Ils volent afin d’économiser pour s’exiler vers les Etats-Unis, pays de tous les possibles qui les fait rêver. Mais lors d’une transaction avec Jésus (Niels Schneider), chef sans foi ni loi des Apaches, Ficelle, l’aîné des trois gamins, se fait assassiner. La sœur cadette se fait injustement accuser et engeôler pour une vingtaine d’années. Libérée, devenue adulte, Billie (Alice Isaaz) n’a plus comme objectif que la vengeance. Se rapprochant des meurtriers de son frère et découvrant que le benjamin Polly (Rod Paradot) a été adopté par le gang qui en a fait son petit serviteur souffre-douleur, la jeune femme se lie de façon ambiguë à ce leader qu’elle voudrait éliminer.
Il n’y a pas que les personnages d’Apaches qui souhaitent voir du pays en terres étasuniennes: le film lui-même n’est pas sans fantasmer une certaine forme d’américanité, adoptant tout du long une structure scénaristique et une suite de motifs proches de ceux du western. La vengeance de la jeune femme expédiée à l’écart du monde suite aux agissements meurtriers d’une bande de hors-la-loi dont la tête des membres est mise à prix, la mort de l’innocence ou son utilisation à des fins malveillantes, l’opposition entre la violence du monde et une morale tenant tant bien que mal mais au bord de l’effondrement (très beau personnage de curé en perte de croyance interprété par Bruno Lochet), sans compter l’incursion de l’héroïne vengeresse en territoire apache : tout cela évoque bien sûr le paradigme westernien, qu’il soit classique ou plus moderne du fait d’un usage de la violence sans euphémisme débouchant sur un tragique lapidaire lors d’un final sans décorum et d’une sécheresse étonnante au regard du reste du film. Ce recours au genre américain par excellence, considéré ici avec une naïveté assez agréable de fraîcheur dans sa façon de redécouvrir les évidences, reste judicieux : si le cinéma américain s’est largement servi du western pour documenter (de façon certes orientée) la conquête de l’Ouest et, par extension, la construction de la Nation américaine dans son acception la plus contemporaine, le film de Quirot use de cette symbolique générique pour faire de la fin du XIXème siècle et du début du XXème un moment constitutif de ce qui fonde notre modernité, Belle Epoque faite de progrès en tous genres et ayant modelé le visage du Paris que nous connaissons aujourd’hui (sans compter que Gustave Eiffel a aussi modelé l’un des visages de l’Amérique, ayant fabriqué la structure métallique de la Statue de la Liberté, monument dont nous voyons la construction dans les premières séquences du film). Ou l’iconographie du genre westernien comme représentative de cette volonté de sonder les origines.
A cette envie d’ailleurs se superposent les contraintes de l’ici : Apaches aborde aussi et surtout une mythologie bel et bien française, voire restreinte aux limites de Paris. Et là se trouvent les défauts principaux du film : Romain Quirot, sous couvert de générosité graphique, semble constamment vouloir se rassurer quant à la beauté de ses images, dans l’objectif flagrant d’en mettre plein les yeux. Le réalisateur charge donc la barque de la reconstitution, multipliant les plans numériques montrant le paysage d’un Paris en construction qui se voudraient les plus fidèles possible à la réalité, portant un grand soin sur les décors et les costumes, appuyant fermement sur le folklore parigot (entre pavé mouillé piétiné par les prostituées bienveillantes et parler argot truculent). Tellement fermement que cela en devient irrémédiablement artificiel. Mais cette artificialité n’est-elle pas aussi finalement l’un des objectifs de ce film qui a tout de la bande dessinée filmée, entre capture de la saleté des bas-fonds évoquant Jacques Tardi, anachronismes tarantinesques (l’usage de la bande-son allant de The Chordettes à The Streets en passant par The Stooges, Philippe Lavil et Death in Vegas !), caractère racé du look punk des gangsters directement hérité des fameux peaky blinders de la série du même nom et rythme vitaminé de ce cinéma d’action badass actuellement très en vogue actuellement, entre maniérisme post-moderne et visée ludique et régressive de casser des bouches ?
Si l’on peut parfois regretter que Romain Quirot se repose trop sur les béquilles du pur spectacle forain par crainte du vide (ce qui est dommage : les moments durant lesquels son film laisse place aux dialogues et aux seuls acteurs sont les meilleurs du film), qu’Apaches manque parfois un peu de personnalité, on ne peut lui reprocher d’être malhonnête ou arrogant, mal qui taraude une certaine proportion du cinéma de genre arty ayant émergé en France ces dernières années (dont les parangons pourraient être les péniblement creux Revenge de Coralie Fargeat [2017] ou Jessica Forever de Caroline Poggi et Vincent Vinel [2018]). Benoîtement carré, recherchant moins l’esbroufe que l’efficacité d’un récit certes attendu mais solide (on dit aussi « classique »), Apaches est une proposition de cinéma populaire certes maladroite, parfois en surrégime, mais finalement très attachante.
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