Il y a tout d’abord la promesse d’un amour innocent, d’un futur resplendissant entre Uni et Gunni, partageant leurs désirs de voyage face au levée du soleil après une nuit blanche. Un amour encore secret et sous-terrain, Gunni n’ayant pas encore annoncé à sa copine Klara son désir de la quitter. Des promesses donc, d’aventure, de liberté, des promesses d’une vie de partage, loin de cette école d’Art dans laquelle ils sont rencontrés. Puis, lors d’un banal matin d’hiver islandais, un drame routier emportera Gunni dans les flammes d’un tunnel accidenté. Il y a l’attente, l’angoisse, puis les larmes et les cris de douleurs qui mettront définitivement un terme à l’espoir. La mort de Gunni ne sera jamais verbalisée. Dans ce second long-métrage de Rúnarsson, film en ouverture d’un Certain Regard à Cannes l’année passée, tout est affaire de silence, d’acte non-verbal, un mutisme endeuillé qui conduira Uni à la souffrance la plus intolérable jusqu’à un début d’apaisement curateur. Mais après l’annonce du décès de Gunni, c’est d’abord l’isolement et la fuite pour Uni, une incapacité à partager sa douleur car viscéralement rongée par une jalousie inacceptable, jalouse des larmes de Klara, jalouse de ne pouvoir révéler la vérité, car c’est bien elle que Gunni aimait. Son visage est meurtri, inexpressif, les rares moments de partage avec ses amis sont illusoires, sa solitude intérieure est intolérable. Tant de douleurs, si peu de mots, une inexpressivité verbale qui va alors la terrasser. Elle qui n’a pas le droit de souffrir aux yeux des autres la considérant comme une simple collègue de classe, elle dont on lui ordonne de ne rien dire, de se taire, et d’accepter que jamais, son amour pour Gunni existera, vivra, et qu’il est définitivement mort avant même d’avoir réellement existé.

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Puis, d’un nouvel élan de fuite, Uni quitte la cérémonie funéraire et se retrouve en tête à tête avec Klara. De nouveau, les mots sont tus, mais les corps se rapprochent. Vient alors une séquence remarquable, d’un jeu de trompe-l’œil, Uni va apprendre à Klara « à voler », une sensation d’apesanteur, les yeux mi-fermés et le regard porté sur le haut de la chapelle. Pendant que Klara décolle, Uni la soutient, un connivence s’installe, un début d’apaisement, un partage de douleur. Puis il y a la danse, la musique, des litres de bières pour tenter non pas d’oublier, mais de s’unir dans le lâcher-prise. Tous sont ainsi enfin réunis, Uni, Klara, et les amis de Gunni. Jusqu’à ce qu’enfin, les corps se fassent face, et d’un vis-à-vis bergmanien, le visage de Uni se juxtapose à celui de Klara à travers une vitre, en silence, leurs regards télépathiques suffisent à se comprendre, et de cette magistrale idée de mise en scène nait alors enfin un début d’apaisement, toujours aussi mutique, mais désormais guérisseur, leurs visages ont désormais fusionné leurs douleurs. De ce face-à-face suivra la juxtaposition des corps, face au soleil désormais couchant en opposition au levée du début de film, puis côte à côte, dans le lit de Gunni : il y a là une tension folle du non-dit, on imagine la libération des mots, mais elle ne viendra pas. Pourquoi faire. Nous sommes loin d’une apologie du mensonge, mais plutôt un hymne à la dédramatisation, à la beauté du non-dit, de la compréhension non verbale, là où un regard, une embrassade peut suffire à tout dire, là où les corps remplacent les mots, partager une vérité qui n’a pas besoin d’être exposé, soutenir la peine de l’autre en soulageant la sienne, ne plus chercher à écouter mais à voir, à observer, à partager une forme de réalité, et surtout, épouser l’autre par le touché, et libérer le poids du mensonge par un nouveau silence, celui qui guérit, celui qui méritera de n’être jamais rompu.

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Avec When the lights break, le deuil est à son départ intolérable car rongée par le secret et la jalousie, et de cette incapacité à libérer la parole, et au lieu d’en faire une blessure incurable, Rúnarsson en fait un acte guérisseur : lorsque les visages s’unissent, et que les corps associent leurs douleurs, la vérité n’a plus de sens, la verbalisation du vrai se dissipe dans un nouveau silence, celui qui guérit, et apaise. Qu’il est donc beau parfois de se taire.

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