Pour les moins cinéphiles et les plus jeunes d’entre vous, Buñuel après l’Age d’or de Salvador Simo, adaptation de la BD de Fermin Solis (Buñuel dans le labyrinthe des tortues) n’évoque nullement la période de gloire et de créativité de l’espagnol mais plus prosaïquement le film l’Age d’or qui fit scandale à sa sortie en 1930 à Paris. Suite à l’échec public et critique de ce manifeste poétique et surréaliste, au moins aussi génial que le célèbre Chien Andalou, réalisé un an auparavant également en collaboration avec Salvador Dalí, Luis Buñuel se retrouve déprimé et ruiné. Mais la chance va lui sourire. Son ami Ramón Acín, sculpteur d’origine mais aussi poète, peintre et écrivain, gagne un ticket de loto et produit le prochain film du cinéaste, Terre sans pain, court métrage de 27 mn, retrouvant foi en son incroyable talent.
Tourné dans la région montagneuse et aride à l’Ouest de l’Espagne, Las Hurdes, lieu constitué de nombreux hameaux touché par une pauvreté extrême et des conditions de vie primitives, Terre sans pain est à l’origine un documentaire frontal, témoignage brut et sans concession de la vie quotidienne de paysans qui n’ont ni pain, ni électricité, ni agriculture. Le réalisateur s’éloigne à priori de ses aspirations surréalistes de ses débuts. A priori, car il injecte une poésie morbide, quasi introspective, en filmant la misère humaine. Cette expérience unique va considérablement bouleverser la manière dont l’auteur de Tristana va concevoir le cinéma à l’avenir, articulant sa démesure artistique, ses délires graphiques avec une narration plus structurée et un engagement politique et social prégnant. En ce sens, Terre sans pain, annonce le premier chef-d’œuvre du cinéaste, Los Olivados réalisé 18 ans plus tard au Mexique, sa terre d’exil.
Buñuel après l’Age d’or s’avère une tentative originale, par le biais du cinéma d’animation, de dresser le portrait distancié d’un cinéaste en activité, à la fois arrogant et humaniste, provocateur et séduisant. Ce projet singulier prend la forme d’un making off fantasmé mais fort bien documenté : on observe un Luis Buñuel filmant une population affamée, constamment tiraillé entre ses obsessions récurrentes et le fait de mener à bien une commande, au point de s’arranger parfois avec la réalité, notamment lorsqu’il tue lui-même une chèvre censée dévaler une falaise. Ses obsessions sont judicieusement matérialisées à l’écran par une succession de rêves oniriques, nous immergeant furtivement au cœur de son enfance, égratignant au passage Salvador Dalí. Concernant ce dernier, une séquence bouleversante surgit : Buñuel s’excuse de son comportement égocentrique auprès de Ramón en lui disant simplement « pardon« . Ramon lui réplique qu’il ne l’avait jamais entendu s’excuser. Ce à quoi Buñuel répond qu’il s’agit « d’un mot horrible« . Et ajoute « On peut scandaliser le public. Mais pas emmerder ses amis. Ça je le laisse à Dalí ».
Après bien des difficultés, Luis Buñuel montre son film en privé en 1933. Il sort néanmoins à paris en 1937. La guerre civile éclate le 18 juillet 1936 en Espagne. Pour la petite histoire, Ramón Acíb, connu pour ses prises de positions anarchistes, fut fusillé par l’armée Franquiste le 6 août, suivi de sa femme quelques jours plus tard. Son nom fut retiré de l’affiche du film qui sorti néanmoins peu de temps après. En 1960, Buñuel ressort son film et rétablit au générique le nom de Ramón Acíb. Les bénéfices sont alors reversés aux descendants.
A la fois pédagogique et sensible, intercalant judicieusement des extraits de Terre sans pain, Buñuel après l’Age d’or, soutenu par la fluidité de l’animation dans un style très ligne claire, permet de saisir un instant clé du parcours artistique d’un des plus grands cinéastes du monde.
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