En toute discrétion, Sébastien Betbeder construit une oeuvre atypique dans l’ombre du succès et des grands festivals. Il signe déjà son cinquième long-métrage et le deuxième pour la seule année 2016 après Marie et les Naufragés. Le Voyage au Groenland constitue en quelque sorte – le film est parfaitement autonome – le troisième opus d’une trilogie Groenlandaise initiée sur le format court-métrage avec Inupiluk et Le Film que nous tournerons au Groenland. Thomas et Thomas, deux amis trentenaires, comédiens et parisiens partent en voyage au Groenland dans le village de Kullorsuaq où le père de l’un d’eux a refait sa vie il y a plus de vingt ans. Sur la base de ce postulat très simple, sans intrigue à proprement parler, se tisse une fausse comédie teintée de mélancolie dans la veine du film qui a révélé le cinéaste : 2 Automnes, 3 Hivers. On retrouve les mêmes acteurs que dans les deux précédents volets : Thomas Blanchard ( Préjudice – Antoine Cuypers ) et Thomas Scimeca ( Apnée – Jean Christophe Meurisse, et surtout au théâtre les nombreuses créations de la troupe des Chiens de Navarre mises en scène par le même Jean-Christophe Meurisse ) ainsi qu’un nouveau visage, François Chattot dans le rôle du père complétant la partie « professionnelle » du casting puisqu’ils sont pour le reste confronté à une communauté inuit jouée par les vrais habitants du village.
En plus des prénoms et de la profession, les deux protagonistes principaux se présentent en avatars fictifs de leurs interprètes, en se construisant autant sur la personnalité supposée de ces derniers que leurs tempéraments de jeu avérés. Cette proximité volontaire, ne doit pas s’interpréter comme une solution de facilité ou une écriture paresseuse mais davantage comme une envie de coller près d’une certaine perception de leur réalité, toutefois déformée au détour de petits détails qui font toute la différence. En l’occurrence ils ne sont pas en situation de réussite professionnelle mais dans la précarité. Les contraintes budgétaires et techniques manifestes obligent le réalisateur à s’éviter toute dispersion inutile, en résulte une mise en forme quasiment rudimentaire – ce qui ne veut pas dire négligée ! – en totale cohérence avec les partis pris narratifs. La simplicité de façade et l’illusion de documentaire sont avant tout un ressort solide pour une fiction délicatement existentialiste.
Le cinéaste délocalise un quotidien et des habitudes ( lectures, musique, glande, footing,…) qu’il restitue sous forme de flash-backs ou reproduit directement dans le contexte Groenlandais auquel il mêle la découverte de traditions locales, générant ainsi un comique de situation presque innocent aussi doux qu’efficace. Cette légèreté relative abrite une mise en perspective de ces moeurs cherchant non pas le choc culturel facile ou la critique cinglante mais l’introspection. Sans pour autant se priver de situations très drôles et de grands moments absurdes : par exemple, lorsqu’une banale séquence d’actualisation pole emploi se transforme en suspens épique. Ce climax tourne en dérision un système où tout peut s’effondrer pour une mise à jour, l’enjeu théoriquement vital en devient aberrant. Le rire qu’il soit franc ou léger masque une dimension plus amère qui l’air de rien élève le film du statut de petite chose sympathique mais éventuellement anecdotique à celui de portrait juste et lucide.
L’identification aux deux personnages se fait quasi instantanément, la naïveté et l’insouciance qui les caractérisent revêtent des angoisses générationnelles dont les acteurs se font les portes paroles. Le voyage en terres vastes et isolées est la clef d’un récit initiatique qui bouscule leurs certitudes et débouche progressivement sur une acceptation du monde adulte. Betbeder développe simultanément trois niveaux de rapports humains se répondant les uns aux autres : une longue amitié mise à l’épreuve dans un nouvel environnement, un fils retrouvant son père après des années d’absence et des habitants aux coutumes très éloignées en plus de la barrière linguistique. Ainsi délestés de leurs routines les protagonistes, se rapprochent d’eux-mêmes et reconnectent avec l’essentiel : Qu’est-ce qui subsiste à l’autre bout du monde si ce n’est l’échange humain et la réflexion personnelle ? L’éloignement devient alors le moteur d’une proximité retrouvée. Une précieuse invitation aux voyages, bordée par les nappes musicales planantes de Minizza et la voix-off de Thomas Blanchard.
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