« C’était mieux avant », argueraient certains au sujet de la comédie en France. Ce serait toutefois oublier l’émulation suscitée depuis plusieurs années par des auteurs et des cinéastes capables d’épousseter les chemins de l’absurde. En vrac : Alain Guiraudie (Viens je t’emmène, pour ne citer que son plus récent), Jérôme Reybaud (Jours de France), Jean-Christophe Meurisse (Oranges sanguines), ou Sébastien Betbeder (Le Voyage au Groenland). Ce dernier a présenté sa dernière fournée, Tout fout le camp, en avant-première à L’Etrange Festival, profitant de sa sortie en salles dans la foulée. Il est toujours agréable de se rendre compte du pouvoir réparateur du cinéma, et une telle comédie feel good ne saurait se refuser en cette période sonnant la « fin de l’abondance ».
Le film, version longue du court-métrage Jusqu’à l’os, commence à Amiens, autour d’un journaliste du Courrier picard (Thomas Scimeca, fantasque et vrai) chargé d’interviewer un musicien anciennement candidat aux municipales (Usé, en dandy dépressif plein d’esprit). Au moment de se séparer après la journée qu’ils ont passée ensemble, ils découvrent un cadavre revenant à la vie (Jonathan Capdevielle, dont le bagage théâtral est un atout considérable pour évoquer l’intériorité derrière les mimiques) sous leurs yeux médusés. Le néozombie n’a aucun souvenir de son passé, et c’est à partir de la carte de visite d’une agence de chars à voiles sur la Côte d’Opale, où se trouve sa petite sœur (Léonie Dahan-Lamort, en jeune dame affirmée), que le road movie à quatre peut commencer. Un accident de voiture est le point de départ d’une errance loufoque dans des campagnes vidées de leurs habitants…
Que les personnages préfèrent se laisser le temps de savourer l’instant au gré des demeures inhabitées ou rendre visite aux membres de la famille, toutes les occasions sont bonnes pour confronter le sens de l’existence à leur appartenance au monde. Ces quatre heureux marginaux pourraient aussi bien évoluer dans une réalité alternative que dans une zone délaissée par les politiques locales. Tout fout le camp résonne ainsi à la gloire de ceux qui incarnent la différence par rapport à l’ordre établi. Être un loser peut constituer une force, et l’origine du rire réside dans le décalage vis-à-vis des convenances ou des situations attendues. Le film est traversé d’un bain d’euphorie qui ravive un esprit contestataire, par le biais d’une écriture ciselée, loin de l’enchaînement de sketches qui fait l’apanage du marché cinématographique actuel. Chaque scène fait l’effet d’une passerelle vers la suivante ou à la précédente. Le fantastique est au service de la tendresse, quand le comique est multifacette.
En étant conscient que la sincérité transite par l’humanité, Sébastien Betbeder offre une bouffée d’air frais au genre. Il crée la rencontre dans son laboratoire des caractères et voit comment la relation peut fleurir et grandir. Les seconds rôles font d’ailleurs le sel de l’intrigue car ils révèlent des pans psychologiques inespérés de Jojo, Thomas, Usé et Marilou. On ne rit pas par moquerie, mais par identification à leur maladresse. La misanthropie est souvent plus facile à dégainer que la naïveté ; Tout fout le camp avance bienheureux sur son terrain miné qu’il assume pleinement.
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